Le crépuscule des partis

La République moribonde a la chance rare de pouvoir regarder ses assassins dans les yeux, unis par la même ambition destructrice, solidaires dans leur médiocrité, égaux dans la malhonnêteté, rassemblés dans l’opacité, verrouillés par la même hypocrisie, les partis politiques achèvent quotidiennement de souiller ce qu’il reste de gravé au fronton des mairies.

De scrutins internes en comptes de campagnes, de fausses élections en fausses factures, les partis affichent mois après mois leur véritable nature, celle d’organisations structurées pour « servir » leurs dirigeants et assurer la permanence de leurs postes, fonctions ou mandats et donc de leurs revenus. Même le Parti Radical, honorable institution centenaire a fini par rendre l’âme sur l’autel d’une élection interne qui a tourné à la soupe à la magouille pour finalement porter à sa tête la voix moyenne de la voie médiane.

A bien y regarder la quasi totalité des processus portés par les formations politiques est entachée d’irrégularités, de fraudes comptables ou juridiques, d’enrichissements suspects ou coupables, d’élections volées, de bulletins manquants, et de finalement tout ce qui marque la déchéance tangible d’un modèle qui porte en lui le germe de sa dégénérescence.

Ainsi vont les partis politiques qui se sont construits sur ce mensonge de devoir servir quelques-uns pour être utiles à tous. Au final, dédiés à leur propre aristocratie, ils servent des ambitions, sans jamais s’intéresser à la seule qu’ils devraient chérir, celle de la France.

Les partis politiques et le régime que leur existence induit, sont à l’origine même de ce qui a profondément dévoyé le principe républicain en professionnalisant ce qui jamais n’aurait dû l’être: la représentation, qu’elle soit locale ou nationale. Loin de concourir à l’expression du suffrage universel, ils ont participé activement à la confiscation de la parole légitime et de l’entrée dans la carrière pour finir par les sanctuariser et finalement les embaumer.

Structures endogames et fermées, les partis politiques ont fini par se donner aux plus rusés, aux plus désinhibés et finalement aux tenants de cette élite formée de ceux qui compensent de n’être bons à rien par être prêts à tout. Parfaitement huilée, la machine partisane a même réussi à faire main basse sur la démocratie en proposant au bon peuple fasciné par les jeux et le cirque, un nouveau simulacre à la mode, alpha et omega de l’unité partisane : les primaires. Tout est pourtant dans le nom… Au final, les primaires ne sont rien d’autre qu’un processus de confinement, interdisant l’émergence d’une autre voix, et qui débouche inéluctablement sur celle du compromis et de l’eau tiède.

C’est aussi probablement pour cela que leur défaite n’est pas que morale, mais avant tout intellectuelle. Totalement hypnotisés par la conquête du pouvoir, ils sont parfaitement incapables de penser le monde et de poser une vision sur l’avenir. Au lieu de ça, les partis dans leur ensemble ont patiemment creusé la tombe du modèle français en se servant de leurs deux outils préférés, la posture idéologique et le renoncement, jusqu’à les ériger en mode de gouvernement.

Architectes de la société dans sa forme pyramidale, les partis politiques sont voués à disparaître car incapables de remettre en question leur fonctionnement vertical. A l’heure de la transversalité et de la remise à plat des rapports sociaux, il est probable que le temps de la désintermédiation en politique soit enfin venue et qu’elle bouleverse durablement la façon de « faire de la politique ». Car l’avenir appartient à l’idée et à son incarnation. Leurs terrains de jeu s’appellent l’entreprise, l’association, internet, la rue, l’immeuble, le quartier… Quant au niveau national, l’avenir immédiat s’inscrit probablement dans le sillon impératif d’un mandat sans droit à la réélection et sans possibilité d’y faire autre chose que ce pourquoi on y a été porté.

Ainsi de nouvelles méthodes de diffusion et de partage des idées et de leur mise en pratique vont voir le jour et s’installer dans notre paysage :

– des plateformes collaboratives d’idées qui transcendent les clivages politiques traditionnels et par lesquelles les citoyens prennent la parole sans plus attendre que les clercs légitimes ne la leur prêtent;

– des financements portés par le crowdfunding sans logique d’adhésion et d’encartage ;

– la mise en place d’un « congé individuel politique » dans l’entreprise pour offrir aux salariés la possibilité de devenir un acteur engagé le temps d’un mandat.

– et l’application stricte du non cumul des mandats et de leur non renouvellement.

Cette évolution passe enfin et avant tout par une prise de conscience politique neuve qui doit renvoyer chacun de nous à sa propre responsabilité d’acteur dans un monde ou la critique assise est devenue la posture dominante. Le crépuscule des partis politiques n’est que le reflet d’une société qui avait abandonné sa souveraineté à un système qui ne lui ressemble pas et qui tarde à lui reprendre le pouvoir.

Il y a quelques jours, Paul Jorion a mis en exergue sur son site* cette phrase tirée d’un entretien que l’historien Zeev Sternhell a accordé au Monde à propos de Gaza. Ses mots résonnent bien au delà de ses frontières : « Personne aujourd’hui n’a la solution et c’est un drame. Nous n’avons pas d’élite politique, pas de leadership. La politique n’attire pas les gens bien. C’est dû en partie au système politique, en partie au fait que les gens qui se présentent aux primaires dépendent des apparatchiks du parti et que le monde offre tellement de possibilités pour les talents de s’exprimer différemment… »

Il est temps que cela change et que les talents de ceux qui agissent quotidiennement, trouvent leur place dans un modèle où la solution sera forcément transversale, innovante et collective.

*http://www.pauljorion.com/blog/

9 réflexions sur “Le crépuscule des partis

  1. D’aucuns l’avait prédit il y a bien longtemps … Michel Jobert par exemple … Ce qui enlève en rien l’acuité actualisée de l’analyse… On y est enfin et en fin d’un long crépuscule du XIX e siècle où sont restés immobiles ces créatures instituées dans le sedimentation des affres révolutionnaires : nous sommes au XXI siècle et ils ne l’ont pas vu acharnés à contenir leur rente représentative d’une démocratie devenue fossile…

      1. L’uberisation de la politique, en français s’appelle « democratie » réelle, vivante..

  2. Je partage depuis longtemps cette analyse des partis, pour autant j’ai du mal à vous suivre sur les germes d’un renouveau. De nature pessimiste, le fait de me dire que dans la grande masse des silencieux, plutôt que d’y voir des veaux, on y voit le peuple qui gronde et en son sein « les meilleurs d’entre-nous » comme une avant garde démocratique…En tout état de cause, ce poste apporte un peu de baume…

    Un petit Victor Hugo peut être

    « Il te ressemble ; il est terrible et pacifique.
    Il est sous l’infini le niveau magnifique ;
    Il a le mouvement, il a l’immensité.
    Apaisé d’un rayon et d’un souffle agité,
    Tantôt c’est l’harmonie et tantôt le cri rauque.
    Les monstres sont à l’aise en sa profondeur glauque ;
    La trombe y germe ; il a des gouffres inconnus
    D’où ceux qui l’ont bravé ne sont pas revenus ;
    Sur son énormité le colosse chavire ;
    Comme toi le despote il brise le navire ;
    Le fanal est sur lui comme l’esprit sur toi ;
    Il foudroie, il caresse, et Dieu seul sait pourquoi ;
    Sa vague, où l’on entend comme des chocs d’armures,
    Emplit la sombre nuit de monstrueux murmures,
    Et l’on sent que ce flot, comme toi, gouffre humain,
    Ayant rugi ce soir, dévorera demain.
    Son onde est une lame aussi bien que le glaive ;
    Il chante un hymne immense à Vénus qui se lève ;
    Sa rondeur formidable, azur universel,
    Accepte en son miroir tous les astres du ciel ;
    Il a la force rude et la grâce superbe ;
    Il déracine un roc, il épargne un brin d’herbe ;
    Il jette comme toi l’écume aux fiers sommets,
    Ô peuple ; seulement, lui, ne trompe jamais
    Quand, l’oeil fixe, et debout sur sa grève sacrée,
    Et pensif, on attend l’heure de sa marée. »

  3. Ou se cache » »cet homme ou cette femme » »pour redresser notre pays,élever ses citoyens,vers le haut…Ce système politique,qui ne fait qu’alimenter quelques personnes qui s’abreuvent autour,sans y apporter une décente vision,une diminution des dépenses publiques,une certaine autorité,un regard évolutif sur l’investissement,qui amènera des emplois,pour tous…Une éducation saine,équilibrée,enrichissante,par la connaissance,le savoir.;Ces partis politiques,avec leur 36000 communes,attendent des applaudissements de leurs citoyens-électeurs,pour les élire,ou retrouver leur fauteuil si savoureux…Qu’ont-ils acté,depuis 30 ans,ou se trouvent les résultats???A contrario,chomàge,impots excessifs,pouvoir d’achat en berne(tous citoyens confondus)….Les dépenses incontrolées,mal gérées,abusives,de ces messieurs-dames » »les élus » »,avec injustice,avec agacement,les administrés doivent payer les conséquences???Aujourd’hui,lucides,avertis,cohérents,humbles,les citoyens-électeurs en ont assez » »d’étre abusés,usés,par ces partis politiques » »….

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