Il arrive un moment où notre représentation du monde tient dans un « slide powerpoint », où notre pensée s’exprime exclusivement en 140 caractères, où rien ne vaut qu’après l’avoir affiché sur sa page Facebook, où plus aucune image n’échappe au filtre instagram, où les émotions sont des smileys, où les abréviations sont des mots et où un FaceTime remplace une rencontre… Ce moment coïncide également avec l’abandon de ce qui fait que l’homme est homme et qui est au cœur de sa socialisation, la parole.
Nous n’avons jamais autant communiqué et pourtant il est probable que nous n’ayons jamais été à ce point isolés, coupés les uns des autres, enfermés dans notre monologue narcissique.
Or, derrière cette incapacité à rencontrer l’autre se cache un terrible déficit de dialogue et finalement de compréhension. L’espace nécessaire à l’éclosion d’un consensus social et des valeurs centrales de cohésion qui en découlent, n’existe plus et nous projette finalement dans un double jeu qui consiste à systématiquement caricaturer et stigmatiser l’avis dissonant pour finir par n’écouter, lire ou regarder que ceux qui parlent de la même rive que nous. Or les avis minoritaires, les opinions contraires, les visions divergentes, sont nécessaires à l’écriture du roman national. Que Claudel ait pu opposer « la mer et le vivants » à « la terre et les morts » de Barrès a permis l’éclosion d’une vision de la France qui la consolide dans ce qui la définit, entre des racines profondément ancrées et des côtes ouvrant sur tant de mers et d’océans que notre destin est de les parcourir pour nous en enrichir.
Malheureusement, loin de permettre la verse et la controverse, les réseaux sociaux alimentent la trouble machine anonyme à insulter par la libération d’une parole souvent aussi débridée qu’instantanée. Dès lors, de nombreux sujets sont désormais frappés d’interdiction car promis à la logorrhée de ceux qui ont fait de ces outils de communication la fausse sceptique de leurs haines refoulées.
Pourtant, l’espace de discussion est nécessaire, voire vital. Nous avons besoin de parler de ce que sont nos valeurs, nos principes, de la signification d’être français, de la compatibilité des religions et de la République, de l’ordre des normes juridiques et sociales, des droits et des devoirs, du respect et de l’autorité, de la sécurité et de la solidarité, de la liberté et de la responsabilité.
Nous avons besoin de nous réapproprier une parole trop longtemps abandonnée à ceux qui en font commerce et d’abord en la travestissant, en la transgressant ou en la maquillant.
Loin des provocations et des excès en tous genres qui jour après jour polluent le débat public, nous devons réinvestir ces mots, ces différences, ces aspérités, pour en faire des ponts et briser petit à petit les communautarismes qui mènent inéluctablement à l’affrontement.
Initié par Zohra Bitan, un mouvement est en train de naître et de s’étendre sur les réseaux sociaux, appelant à reprendre contact pour pouvoir dialoguer sur quatre sujets majeurs, l’identité, les valeurs, la famille et l’éducation. Loin des dialectiques complexes, ces sujets enferment le socle de notre République en même temps qu’ils forment la quadrature d’un cercle infernal dès lors qu’on laisse à d’autres – professionnels de la dialectique apocalyptique – le soin d’en parler. Ces quatre sujets sont au carrefour de ce qui nous fonde en tant qu’individu – né quelque part dans une culture et une religion –, mais aussi en tant que citoyen au cœur d’une République qui attend de nous que nous la protégions et la renforcions, elle qui nous accepte sans distinctions.
Il arrive que l’injonction la plus simple soit également celle qui nous rappelle les fondements du respect le plus basique mais aussi le plus impérieux, l’injonction d’un père, d’une mère ou d’un ami, ces phrases simples qui, posées au croisement précis de deux voies qui s’ouvrent à nous, résonnent pour nous empêcher de nous perdre. Or, ces temps-ci, une phrase simple circule et commence à contaminer ceux qui veulent retrouver le chemin républicain du progrès et de l’espérance, elle s’écrit simplement et se prononce facilement, faites la tourner : « Faut qu’on se parle ».
merci pour ce texte. On est quand même quelques un-es à se douter que la complexité du monde ne se laisse pas enfermer dans des schémas simplistes !