Longtemps la France a eu une voix et une résonnance singulières dans le concert du monde. Ainsi a-t-elle su développer des idées, des discours et des pratiques politiques en avance sur leur temps. Mais aujourd’hui la machine s’est grippée et finalement bloquée pour nous inscrire dans une marche forcée, systématiquement en retard et à contre temps des grandes transformations du monde.
A un an de la Présidentielle, les candidats se multiplient, moins d’ailleurs par désir d’être élus, ni même de pouvoir concourir, que dans la perspective de négocier le moment venu leurs 2% d’intentions de votes contre un avenir ministériel, une circonscription ou une présidence d’agence nationale… Ainsi va la vie politique française, kidnappée par ceux qui préfèrent se servir plutôt que de servir.
Pourtant, cela pourrait être anecdotique si cette sclérose démocratique ne s’accompagnait pas de la pire sécheresse d’idées qu’ait connu notre pays.
De la droite à la gauche, les programmes présidentiels qui commencent à être dévoilés brillent autant par leurs excès de slogans que par leur anachronisme. Les 35 heures, l’ISF, la retraite à 65 ans, les régimes spéciaux, la fermeture des frontières, autant de sujets qui brillent par leur colossal décalage avec les transformations de la société et du monde dans lequel nous vivons.
Pire encore, aucune vision de la société française, de la France dans l’Europe et de l’Europe dans le monde ne semble intéresser nos sprinteurs politiciens, incarcérés dans leurs starting-blocks et leurs toutes petites tactiques de course.
Au lieu de cela, certains se jettent même dans le passé pour y trouver les remèdes à l’avenir. Les racines chrétiennes de la France, le retour au Franc ou le service militaire tiennent la côte auprès de ceux qui confondent vision et hallucination.
Et puis, il y a l’arrivée en grande pompe du néo-libéralisme comme solution miracle à tous nos maux, le providentiel laisser-faire – et d’abord financier – duquel reviennent au triple galops nos amis anglo-saxons, subitement en quête de sens et de solutions nouvelles dans un monde qui va désormais tellement vite qu’ils avaient imaginé que poser des questions était une perte de temps et qu’il suffisait de confier les réponses à des algorithmes.
Les crispations autour du contrat de travail sont symptomatiques de ce décalage à l’heure où le travail se décline de plus en plus comme une activité non salariée où chacun veut pouvoir gérer son temps et sa mobilité, qu’elle soit géographique ou fonctionnelle.
De même que l’on passe du travail à l’activité, les consommateurs abandonnent l’accumulation pour se tourner vers l’usage renvoyant industriels et distributeurs dos à dos dans un monde où la mise à disposition de tout – vélos, voitures, appartements – redéfinit les rapports commerciaux et finalement sociaux.
Enfin, dans un pays où les élèves des grandes écoles sont issus de 200 écoles maternelles, où les 5 familles les plus riches possèdent plus que les 30% de foyers français les plus pauvres et où les décisions sont prises par les mêmes 50 professionnels de la politique depuis 30 ans, la question cruciale de la répartition du savoir, de la richesse et du pouvoir devra impérativement trouver écho dans une « Nouvelle Donne » ou un « Nouveau Partage » inspirés de l’article 1 de la Constitution Française et qui rappelle simplement que « La France est une République laïque, démocratique et sociale » et qui appelle à mettre en œuvre les outils et les pratiques qui ne permettent plus la confiscation par le cumul ou l’accumulation mortifères, qu’ils soient dans l’espace ou dans le temps.
Cette transition d’un modèle de stocks à un modèle de flux induit une profonde transformation de la circulation des biens et donc de la richesse, qu’elle soit économique ou culturelle. Pourtant, les architectes que notre hyper-structure bâtie autour d’un axe vertical, continuent de ressasser les mêmes solutions qui s’attachent à préserver cette verticalité et qui sont inexorablement vouées non seulement à l’échec mais surtout à leur dégénérescence, laquelle nourrit la précarisation, la colère et finalement le morcellement de notre société.
De la même manière penser la territorialité et l’occupation des territoires avec le regard de l’après seconde guerre mondiale est une ineptie quand les bouleversements politiques mais surtout climatiques vont rebattre pour longtemps les modèles de circulation des populations jusqu’à modifier leur ancrage géographique. C’est ainsi que la politique étrangère menée depuis 30 ans au Proche et Moyen Orient nous a amené dans l’impasse sanglante dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.
Tous les diagnostics nous mènent à la même conclusion : Il faut un « nouveau modèle », il faut de « nouvelles frontières » et il faut de nouveaux cerveaux pour les imaginer et les tracer… Personne d’ailleurs ne l’a mieux dit que JF Kennedy, le 15 juillet 1960… il y a 56 ans au Los Angeles Memoriam Coliseum: « Mais je vous dis que nous sommes devant une Nouvelle Frontière, que nous le voulions ou non. Au-delà de cette frontière, s’étendent les domaines inexplorés de la science et de l’espace, des problèmes non résolus de paix et de guerre, des poches d’ignorance et de préjugés non encore réduites, et les questions laissées sans réponse de la pauvreté et des surplus. »
2017 marque un temps politique majeur dans un pays qui a une responsabilité plus large que celle de son seul destin et qui pose la question d’une transformation profonde de nos structures de lecture de notre société et finalement de sa gouvernance.Il est vain de croire que cette transformation se fera sous l’impulsion mole et égocentrée de quelques revenants d’un monde qui n’existe déjà plus.
Pour penser le monde, il faut s’appuyer sur ceux qui y vivent, sur ceux qui le font, sur ceux qui incarnent les changements plutôt que sur ceux qui courent après l’ombre portée des lumières du siècle passé. Il faut des jeunes, il faut des femmes, il faut de la diversité, bref, il faut tout ce qui ne nous est jamais proposé par les vieux partis, les vieux modèles et les clubs qui pensent comme des chars.
Partout se multiplient les rassemblements d’acteurs, d’inventeurs, d’innovateurs, des Barbares à la Civic Tech, des Zèbres aux Déplumés, de la Transition à Nous Citoyens, du Club 21 à Jamais Sans Elles ; partout se rassemblent de nouvelles générations qui regardent sur le plan horizontal d’une société en mouvement, germer le champ des possibles en même temps qu’un nouvel horizon de défis. Le premier d’entre eux sera celui de l’incarnation de ce mouvement profond, dans un pays où le modèle bonapartiste reste ancré dans les esprits de ceux qui espèrent qu’un autre relève le drapeau abandonné sur le pont d’Arcole. Les circonstances exceptionnelles font les femmes et les hommes d’exception; elle ou il est là, quelque part, au milieu de nous, en chemin.
Bravo ! Tout est dit ! Reste à faire !!!
Le Xavier Alberti que j’aime ! Vous traduisez exactement mon ressenti de française, européenne, découragée par le décalage entre ce ressenti et les paroles et promesses de nos politiques. JF Kennedy avait compris… Vision d’un grand homme qui a fondé les bases égalitaires entre noirs et blancs il y a 50 ans.
Il faut non seulement trouver cette femme ou cet homme qui nous conduira à une France et une Europe éclairées, mais s’assurer que les francais si divisés, la (ou le )laisseront réformer en profondeur. Ce sera la à mon avis le plus grand obstacle à surmonter.
«Au lieu de cela, certains se jettent même dans le passé pour y trouver les remèdes à l’avenir. Les racines chrétiennes de la France, le retour au Franc ou le service militaire tiennent la côte auprès de ceux qui confondent vision et hallucination.»
Amalgame. L’euro est un désastre économique. Le retour au franc n’est pas visionnaire, il serait «seulement» salutaire.
ok, j’aime bien votre analyse, mais on fait quoi maintenant ?