Au revoir Madame

Simone Veil s’en est allée. Je me plais à l’imaginer retrouver ses parents et son frère, tous trois arrachés à la vie par la barbarie nazie, les larmes illuminant encore un peu plus ses yeux aux reflets d’argent, elle qui confessait n’avoir jamais pleuré dans les camps car « c’était au-delà des larmes. »

Ne nous y trompons pas, la mort de Simone Veil n’est pas la disparition d’une femme politique française. La mort de Simone Veil s’inscrit dans le roman national au même chapitre que celle de Jean Moulin, Germaine Tillion ou Geneviève de Gaulle – Anthonioz, car avec elle s’éteint presque définitivement la flamme des survivants, porteurs du témoignage de ce que fut la pire excroissance idéologique produite par l’Homme et son « terrible cortège. »

Or, dans un monde où le temps gomme la mémoire, il faut des gardiens pour protéger les Hommes de l’oubli et de la tentation jamais éteinte de réveiller la bête immonde.

Dans un monde où le progrès nous permet de dépasser les horizons jadis inatteignables, il faut des murs porteurs pour garantir la solidité de sociétés dont les édifices sociaux et moraux sont mis à rude épreuve.

Dans un monde où les dangers des terres inconnues réveillent les réflexes sécuritaires les plus enfouis, il faut des flammes bienveillantes pour éclairer encore les chemins de la tolérance et de la justice et rappeler à chacun qu’ils existent et qu’ils sont les seuls qui nous mènent vers la paix.

Simone Veil jouait ces rôles, et ce que nous perdons avec elle est irremplaçable. Pourtant, c’est l’ordre des choses, il nous faut l’accepter et après la peine, il faut savoir lui dire au revoir, et merci.

Il faut également nous regarder en face et saisir le fardeau qu’elle nous laisse et qu’elle a si souvent et si courageusement porté au cours du siècle passé. C’est à chacun de nous d’en prendre sa part, certains au nom de la mémoire, d’autres au nom de la liberté et d’abord de celle de disposer de son corps, d’autres encore au nom de l’Europe et de sa nécessaire construction pour la paix entre les peuples, d’autres enfin au nom de l’égalité entre les femmes et les hommes sur laquelle un nouveau modèle de société est en train de naître.

Nous sommes tous locataires de nos vies, de nos villes, de nos pays, mais certains, par la force et l’exemplarité de leur parcours, s’emparent d’une parcelle d’éternité pour en devenir propriétaires, dès lors, il revient à ceux qui restent de perpétuer leur héritage pour respecter cette parcelle et la faire fructifier… et pour qu’un jour prochain, une jeune fille, quelque part, trouve la force de résister, de devenir une femme, de témoigner, de se battre de nouveau pour elle, pour d’autres, pour la liberté, pour la paix, pour l’égalité et pour que nos filles et nos fils finalement, vivent mieux que nous.

Simone Veil nous laisse en héritage l’immense responsabilité, non de mimer le courage, la tolérance et l’intégrité, mais de les incarner. Il nous revient de l’accepter et d’en être à la hauteur.

Au revoir Madame, et merci.

 

 

Une réflexion sur “Au revoir Madame

Laisser un commentaire