Pour un capitalisme social

« Un jour, la machine a paru. Le capital l’a épousée. Le couple a pris possession du monde. Dès lors, beaucoup d’hommes, surtout les ouvriers, sont tombés sous sa dépendance. Liés aux machines quant à leur travail, au patron quant à leur salaire : ils se sentent moralement réduits et matériellement menacés. Et voilà la lutte des classes ! Elle est partout, aux ateliers, aux champs, aux bureaux, dans la rue, au fond des yeux et des âmes. Elle empoisonne les rapports humains, affole les États, brise l’unité des nations, fomente les guerres.

Car, c’est bien la question sociale, toujours posée, jamais résolue, qui est à l’origine des grandes secousses subies depuis trente-cinq ans. Aujourd’hui, c’est la même question, toujours posée, jamais résolue, qui pousse le monde vers un drame nouveau. C’est elle qui fournit de prétextes la tyrannie. C’est elle qui empêche la prospérité de prendre son essor pour adoucir les misères humaines. Ah ! les pays libres peuvent bien déployer leur propagande et se ruiner en armements, l’épée, de Damoclès demeurera suspendue tant que chaque homme ne trouvera pas dans la société sa place, sa part, sa dignité.

Eh bien ! Nous voulons cela ! D’autres peuvent le caricaturer, nous sommes les seuls à pouvoir le faire. C’est l’Association des hommes, de leurs intérêts, de leurs capacités, que nous entendons bâtir. Ce sont des sociétaires, et non des adversaires, qui, selon nous, doivent assurer ensemble la marche des entreprises. Ce sont des contrats, établis en vue du meilleur rendement et assurant à chacun sa part des bénéfices, qui doivent remplacer aussi bien le dirigisme des prix et salaires que le système de ces conventions qui ne sont que des armistices. En raison de tout ce que la France a souffert et de tout ce qui la menace, nous avons décidé, nous, de réaliser cette réforme. Nous y appelons le peuple français. Il nous faut, pour y réussir, vaincre les séparatistes qui ne veulent pas que les plaies soient guéries. Il nous faut aussi faire liquider par le pays la coopérative qui étale maintenant son impuissance au milieu de l’angoisse ouvrière, des affaires ralenties, des grèves pourrissantes, des conciliations avortées, et pour qui le mouvement serait une mortelle catastrophe.

Nous avons choisi, nous, une fois pour toutes pour le présent et l’avenir. N’est-ce pas ? les jeunes, qui m’entendez ! »

Ce fragment de discours date du 1er mai 1950 et a été prononcé au Parc de Bagatelle par Charles de Gaulle. Il est d’une stupéfiante actualité et comme souvent avec le Grand Charles, d’une très grande modernité.

Le fait est que 67 ans plus tard, il résonne avec une force incroyable car dans les faits, nous n’avons pas réalisé le vœu que pose ce discours, c’est-à-dire « l’association des hommes » qui permettrait à chacun de trouver « sa place, sa part et sa dignité », et c’est donc toujours la même épée de Damoclès qui plane au-dessus de nos têtes.

La France ouvre une nouvelle étape de modification de son droit du travail avec comme objectif une plus grande libéralisation du marché. Si le but recherché est de permettre  d’en assurer un meilleur fonctionnement et donc un plus haut niveau de créations d’emplois, nous ne pouvons ignorer qu’une de ses conséquences est la menace d’une plus grande précarisation des salariés et de la consolidation d’une classe grandissante de travailleurs pauvres comme c’est d’ailleurs le cas en Allemagne. Nous pourrions balayer d’un revers de main cynique « qu’un petit boulot vaut mieux que pas de boulot du tout », mais ce serait oublier un peu vite que la fonction sociale du travail est inopérante quand celui-ci ne permet pas de s’y réaliser et de construire sa vie autrement que dans l’angoisse du lendemain. Cette nouvelle réforme du droit du travail se fera, mais à moyen terme, elle sera contreproductive si elle ne se fonde pas sur une nouvelle façon de penser l’activité professionnelle, sa place et sa fonction dans nos sociétés et si nous omettons de bâtir une nouvelle vision de la relation entre salariés et actionnaires, entre employés et patrons.

« Patron », le mot est lâché et le mal n’est pas loin. Pourtant la réalité qui se cache derrière ce mot est très éloignée de la mythologie portée par quelques grands prédateurs qui se nourrissent d’un déséquilibre mortifère de la répartition de la richesse.

Oui il existe des entreprises violentes, oui il existe des patrons brutaux, oui il existe des actionnaires gloutons, mais, s’ils sont souvent à la tête de très grands groupes, ils représentent pourtant une part infime du patronat qui, quand on le considère plus largement, procède d’une réalité bien différente et tout aussi indiscutable : Oui il existe des entreprises humaines, oui il existe des patrons bienveillants, oui il existe des actionnaires raisonnables, car oui, il existe un capitalisme social et responsable.

Ce capitalisme social, souvent familial, s’appuie sur la conviction chevillée au corps que la ressource humaine est la plus précieuse de l’entreprise et qu’à ce titre, elle doit pouvoir toucher sa juste part de salaire pour le travail accompli mais aussi sa part de bénéfices pour les résultats atteints. C’est justement sur cette conviction que Charles de Gaulle a voulu l’intéressement et la participation des salariés aux bénéfices de l’entreprise, pour que chacun, bien qu’il soit à sa place, puisse participer et bénéficier de ce qui fait la pérennité d’une entreprise, de son développement et de ses emplois : La rentabilité.

Ceux qui ont eu la chance de travailler dans les entreprises qui pratiquent l’Intéressement et la Participation à des niveaux importants, savent l’extraordinaire motivation que cela implique et l’excellente dynamique qu’ils permettent de diffuser au sein de leurs équipes. Or, ces mécanismes restent peu valorisés alors que dans le même temps la part des bénéfices destinée aux dividendes est passée de moins de 40% en 1990 à 85% ses dernières années, plombant ainsi les investissements nécessaires à la recherche et au développement ainsi que la rémunération des salariés.

L’avenir de nos modèles économiques se construira inéluctablement sur le rééquilibrage de cette distribution de la valeur créée si l’on veut éviter une implosion d’un système qui continue d’hyper-concentrer la richesse à l’heure où 10% des plus riches détiennent 83% du patrimoine mondial pendant que 70% de la population survit avec 3% de la richesse. Nul besoin d’être frappé par la foudre marxiste pour comprendre que les grands équilibres sociaux nationaux, continentaux et mondiaux ne résisteront plus longtemps à un déséquilibre qui non seulement confisque mais également détruit de la valeur.

En France, une solution existe depuis une ordonnance de 1959 prévoyant l’intéressement et la participation financière des salariés aux bénéfices de leur entreprise. D’abord facultatif, ce mécanisme est  devenu obligatoire en 1967 pour toute entreprise de plus de 100 salariés et depuis 1990 pour celles de plus de 50 salariés.

Il est temps de s’en emparer pour l’amplifier, le moderniser, en simplifier le calcul et le généraliser pour en faire un outil substantiel et efficace de rémunération au travers de l’épargne salariale, corrélant directement le montant des bénéfices versés aux actionnaires à ce qui revient aux salariés.

Alors que l’on mesure depuis des décennies la qualité des entreprises à leur capacité à verser des dividendes et que l’on scrute depuis quelques années l’engagement environnemental de chacune d’entre elles, il est peut-être temps d’inaugurer officiellement l’ère du rôle social de l’entreprise, de sa capacité à stabiliser ses salariés, à les former, à les accompagner dans la consolidation de leurs vies et d’un patrimoine familial qui permet « simplement » le fait de poser un toit sur leurs familles. C’est probablement sur ce triptyque Financier – Environnemental – Social que se bâtiront les meilleures entreprises de demain car elles bénéficieront des synergies et des effets bénéfiques que les déséquilibres actuels interdisent.

La première responsabilité de l’entreprise, de ses actionnaires et de ses dirigeants est de mettre en place les conditions d’un modèle économique viable, rentable et pérenne, la deuxième est de le faire en respectant l’environnement et les actifs nécessaires à la viabilité de l’entreprise, la troisième, de définir les termes d’un contrat qui au-delà de celui du travail permet à ses salariés d’y percevoir leur part et d’y trouver leur place.

Ce nouveau partage est le corolaire de l’évolution d’un monde où la nécessité ne suffit plus à dicter la marche de ceux qui réclament un sens à leur engagement, qu’il soit politique ou professionnel. Les entreprises ont des responsabilités sociales, lesquelles seront créatrices de valeur pour tous, actionnaires – dirigeants – salariés – pays, dès lors qu’elles feront l’objet de politiques claires et d’engagements tenus, sur la formation et sur la rémunération.

Le moment est venu de donner enfin un écho favorable à la réconciliation qu’appelait de ses vœux le Général de Gaulle en scellant un pacte entre les actionnaires et les salariés autour d’une plus grande flexibilité du travail, de sa plus grande adaptabilité par la formation mais aussi de sa plus juste rémunération, en liant cette dernière aux bénéfices et aux dividendes, eux-mêmes issus de la synergie entre toutes les forces vives qui permettent « la marche de l’entreprise ». Or, pour bien marcher, il faut marcher sur ses deux jambes et « Nous avons choisi, nous, une fois pour toutes pour le présent et l’avenir. N’est-ce pas ? Les jeunes, qui m’entendez ! »

3 réflexions sur “Pour un capitalisme social

  1. Bonjour,
    Le mot injurieux est lancé. Flexibilité. Cette flexibilité est pourtant effective depuis des années. Flexibilité sécurité alors ? Pourquoi pas. Mais ça ne résoudra toujours rien. Si les actifs (hors tns) tiennent à leur CDI, c’est tout bonnement car sans lui, pas d’accès (ou si peu) à un crédit maison, auto, scolaire pour les enfants, et dans des taux acceptables. Moi aussi je suis responsable de PME, et je partage aussi votre point de vue. Mais le médecin veut tout et son contraire. Virer les seniors mais les faire bosser jusque 70ans. Tant que ces happy few représenteront l’économie avec une cgpme aussi faible en terme de com, il y a peu de chance malgré ce texte, que les choses changent.

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