Paris n’est plus la France.

A l’heure où s’est ouverte la première conférence des territoires pour qu’y soient évoqués la fiscalité locale, le droit à l’expérimentation et la cohésion territoriale, il est symptomatique de souligner que cette première édition se tient évidemment à Paris, au Sénat. Evidemment oui, puisque le Sénat est la chambre qui porte la représentation territoriale, évidemment puisque le Sénat est à Paris, évidemment puisque tous les Ministres invités y ont également leurs ministères et que le Premier Ministre et enfin le Président de la République y étaient attendus.

Oui, si la conférence des territoires où doit être évoquée la cohésion de ces derniers, se tient à Paris, c’est simplement parce qu’évidemment, tout s’y trouve, et qu’il faut être à Paris pour se demander pourquoi, avec tant de territoires, il y a si peu de cohésion et de moins en moins de cohérence.

Ainsi, alors que la fracture entre Paris et la Province n’a jamais été aussi importante, la question de la décentralisation et de la déconcentration physique de l’Etat jacobin se pose de plus en plus fortement, avec désormais comme seule variable d’ajustement la volonté politique qui permettrait de mettre à jour un nouveau partage territorial.

« Paris n’est pas la France » parait-il… Pourtant, toute la France se concentre à Paris. Deux aéroports internationaux, 7 gares (puisque toutes les voies y mènent), tous les ministères, la totalité des grandes administrations, les deux Assemblées, les hautes juridictions, la Cour des Comptes, l’Inspection Générale des Finances, la Caisse des dépôts, la Banque de France, Le Conseil d’Etat, le Conseil Constitutionnel, les grands musées, les grands Lycées qui mènent aux grandes écoles voisines, les sièges des grandes institutions sportives, syndicales, scientifiques, culturelles, économiques, financières, les services du Premier Ministre et évidemment ceux de la Présidence de la République.

Depuis la délocalisation de l’ENA à Strasbourg en 1991, Paris n’a plus rien laissé échapper à son appétit de contrôle et de concentration.

Dans le même temps, le fossé qui sépare Paris de la Province continue de s’accroitre dangereusement jusqu’à fracturer deux France, politiques, économiques, éducationnelles, culturelles et finalement sociales. L’unité de la République, inscrite dans la Constitution n’est plus totalement garantie et l’Ile de France porte désormais parfaitement son nom, isolée qu’elle est au milieu d’un pays qui ne la comprend plus et qui lui tourne de plus en plus ostensiblement le dos.

L’opposition entre capitales et provinces nationales n’est pas une exception française, mais l’hyper-concentration Parisienne est une exception mondiale. Cette anomalie hexagonale suscite une opposition qui commence à prendre pieds dans une défiance dont se nourrissent bien plus que les simples antagonismes sportifs. Paris et la Province ne se reconnaissent plus et pour ceux qui vivent enfermés dans le fonctionnement cloisonné d’une ville-siège, il n’est plus question de prendre le pouls de notre pays, car ils ne le saisissent plus. Un soir où il nous racontait ses pérégrinations de Zèbre, Alexandre Jardin nous a lancé cette phrase : « À une heure de Paris, il y a un pays qui s’appelle la France. » Comme il a raison.

Il ne s’agit pas ici de vanter les beautés géographiques, géologiques, architecturales ou culturelles d’un pays qui n’a plus à faire la preuve de sa richesse, de sa diversité ou de son génie, mais au contraire de souligner ce qui derrière les apparences d’une unité de façade, fissure la République par la discrimination territoriale et par le fait que finalement, nos lois ne s’appliquent plus totalement de la même manière, notre triptyque n’a plus réellement le même sens et l’espérance plus du tout la même résonance.

L’impact de la révolution technologique que nous vivons devrait pourtant nous amener à penser différemment le maillage territorial, d’abord parce que dans un monde horizontalisé, le rapport hyper-centralisé à la capitale n’a plus aucun sens ; ensuite parce que les moyens de communication, leur faible coût et leur grande fluidité, permettent désormais de gommer toutes les distances, en particulier lorsque l’on vit dans le même fuseau horaire.

Dès lors, il n’existe plus aucune raison de tenir dans un espace aussi limité, un nombre aussi important de pouvoirs et de compétences. Par ailleurs, ne serait-il pas vertueux qu’un grand Ministère de la Mer s’ancre au Havre ou à Brest, que celui de l’Agriculture s’enracine à Rennes ou au Mans ou que le Ministère de la cohésion des territoires s’installe à Châteauroux ou à Limoges.

Bien souvent, l’Etat est beaucoup plus prompt à donner la leçon que l’exemple. Or, à l’heure où le sujet de la cohésion des territoires est justement devenu un Ministère, est-il cohérent qu’il soit basé dans le 7ème arrondissement de Paris ? La réponse à cette question n’est pas un gadget et encore moins un détail, et pour peu que le poisson pourrisse toujours par la tête, il se pourrait aussi que les solutions proviennent de là. Ainsi, le redéploiement territorial de certains ministères, de certaines administrations ou d’institutions clé, représente-t-il un véritable levier politique pour transformer l’organisation de l’Etat, de nos territoires et des flux économiques et sociaux qu’ils engendrent.

Il n’y a aucune transformation à attendre du monde dans lequel on vit si on ne se transforme pas soi-même. Cette règle d’airain vaut pour la plupart des défis auxquels nous faisons face aujourd’hui, à commencer par celui de la recherche de nouveaux équilibres économiques et sociaux. Loin des oppositions idéologiques et des postures politiques, la force de l’action et du mouvement offre la perspective de la révolution que chacun devine mais dont personne n’ose s’emparer, parce qu’elle bouscule d’abord notre propre confort.  Pourtant, qu’il s’agisse des richesses, des territoires ou du savoir, il y a au cœur de ce nouveau partage, la promesse d’une société plus juste et d’une République enfin apaisée et enthousiaste.

 

20 réflexions sur “Paris n’est plus la France.

  1. En fait, emmener les grandes administrations en province ne fera que créer une fausse activité économique en embauchant du fonctionnaire en local, c’est plutôt aux territoires de s’adapter et de tout faire pour attirer des entreprises créatrices d’emplois et de richesse, facile de s’en prendre à Paris lorsque personne ne souhaite vivre dans ces grandes villes de province, par manque d’emploi ou d’activité économique.

    1. Donc, l’activité économique entourant la présence nombreuse des employés de ministères délocalisés serait moins vraie que l’activité économique entourant la présence nombreuse des employés de ministères centrés sur Paris ? J’ai un peu ce mal à m’expliquer cette idée. Ça répartirait simplement sur le territoire une richesse concentrée sur sa capitale, et ferait probablement mécaniquement baisser les loyers sur Paris, non? Alors que dans le même temps, ils augmenteraient ailleurs…

    2. C est pour le moins réducteur
      Croire et écrire que la fonction publique n est pas une activité C est jeter aux orties le travail de millions de personnes
      Qui êtes-vous et qu avez vous fait de si exceptionnel pour juger ainsi
      La France est né économie sous contrôle et assistée
      C est notre culture
      Personne en France n accepte de ne pas avoir accès aux services publics quoiqu il en coûte
      Le pays fonctionne avec et par le service public …alors accueillir en province les sociétés et services de état est une super aubaine
      N en déplaise

    3. Alex,
      Facile de penser que les grandes villes de France sont inactives alors qu’en réalité leurs impôts sont réinvestis dans le projet du grand Paris. L’intérêt ? Aucun, sinon qu’améliorer les transports ne fera pas diminuer la densité urbaine de parisiens mais attirera inévitablement davantage d’entreprises sur place. Donc plus de monde encore ? En attendant que le périph ne croule sous davantage de voitures, le reste de la France meurt de l’absence de soutien financier, culturel, associatif, scolaire et entrepreneurial. Pas d’emploi pas de survie ici bas. Mais bon investissez dans Paris ! Le reste de la France peut survivre l’hiver en attendant que l’été les touristes reviennent sur les plages profiter de ce qu’ils n’entretiennent pas.
      Paris est une province…

      1. Pourtant, une grosse partie du PIB parisien est réinvesti pour le reste de la France… il est faux de croire que la France payé pour Paris, c’est même plutôt l’inverse et ca a été démontré depuis un moment par de grands économistes comme Davezies.

      2. Les dotations de l’Etat sont plus élevées, par habitant, dans les villes que dans les campagnes… C’est une volonté délibérée de l’Etat, et des élus, de maintenir cette richesse dans les villes, de supprimer les services dans les campagnes, de créer des Communautés de Communes gérées dans les villes accroissant l’impôt au détriment des des villages…

    4. Donc selon vous personne ne veut vivre à Bordeaux, Toulouse ou Montpellier ? Non, en fait, de plus en plus de Franciliens cherchent à fuir cette région aussi détestable pour son climat que pour le coût de la vie et sa population…

      1. Il faut voir si la décentralisation de l’ENA à Strasbourg est, avec l’expérience, une bonne ou mauvaise opération ! et pourquoi ne pas continuer… Les salariés ou fonctionnaires habitant en banlieue seraient peut-être heureux d’avoir moins de déplacement dans une ville de province !

  2. Se contenter de la seule fracture Paris/province est réducteur…vous en donnez même un exemple sans le vouloir : toutes vos suggestions de de localisations de ministères sont dans la moitié ouest de la France.
    Il se peut aussi que votre esprit, inconsciemment et comme beaucoup, établisse une hiérarchie encore plus pernicieuse entre province « attractive », « sexy » et province entachée de laideur par l’inconscient collectif français, marqué plus qu’on ne le pense par 14-18, la drôle de guerre et des décennies de service militaire dans les casernes frontalières.
    Pourquoi Nantes et pas Metz ou Strasbourg ? Pourquoi Châteauroux et pas Bar le Duc ou Troyes ?
    Ça se réfléchit non ?

    1. Oui bien sûr que ça se réfléchit. Les exemples donnés sont symboliques, ils n’ont d’autre ambition que de susciter le questionnement. Merci de votre lecture et de votre commentaire.

    1. Paris ne sera jamais la France, sans la province paris meurt, Paris ne produit rien, ils sont incapable d avoir assez d eau pour vivre
      Paris ne sera jamais la France puisque paris vit au crochet de la province n en déplaise aux parisiens

  3. Très agréable lecture pour une très pertinente analyse de faits capitaux à notre Sainte Mère Capitale… Effectivement pourquoi ne pas… Mais en sommes nous nous vraiment capables ? Sommes nous capables de nous départir de nos esprits hobereaux ? Quand on repense aux gueguerres de provinciaux que nous avons connu avec nos nouvelles régions, le choix des noms, le choix des nouvelles capitales régionales, comment pouvons-nous reprocher aux jacobinistes parisiens de laisser échapper leur monopole…

  4. Très agréable lecture pour une très pertinente analyse de faits capitaux à notre Sainte Mère Capitale… Effectivement pourquoi ne pas… Mais en sommes nous vraiment capables ? Sommes nous capables de nous départir de nos esprits hobereaux ? Quand on repense aux gueguerres de provinciaux que nous avons connu avec nos nouvelles régions, le choix des noms, le choix des nouvelles capitales régionales, comment pouvons-nous reprocher aux jacobinistes parisiens de ne pas laisser échapper leur monopole…

  5. Bonjour, merci pour cet article à contre courant des réflexes de la pensée!
    Quelques commentaires:
    – Paris est souvent décrite comme géographiquement au centre du pays, ce qui est très faux, c’est très au nord.
    – L’ile de France, bien que très peuplée, ne représente finalement que 18% de la population nationale. 82% des Français ne sont ni Parisiens, ni Franciliens.
    – Il serait souhaitable que le calcul du PIB de chaque région soit effectué sur la base de ce qui est réalisé dans la région. L’île de France concentre artificiellement la richesse car l’essentiel des sièges nationaux s’y trouvent. Cela donne une vision déformée de la performance économique réelle.
    – Paris est une ville majeure, une capitale économique et politique indiscutable. L’écart est important avec les autres villes Françaises, mais je ne partage pas votre sentiment sur cet écart qui se creuserait, au contraire, je trouve que beaucoup de villes prennent de l’importance et grandissent sans regarder Paris mais rn ne comptant que sur elles mêmes.
    – Pourquoi ne pas créer une capitale politique nouvelle au centre de la France, ex-nihilo?
    – Les Parisiens pourraient se grandir en évitant d’utiliser le terme Province, qui est une construction de pensée purement Parisienne. En région, la Province n’existe pas, il y a des régions diverses.

  6. les dotations de l’Etat sont multipliées par 5 ou par 10, par habitant dans les grandes villes, et donc Paris, par rapport aux communes rurales. La volonté de l’Etat est bien de concentrer la richesse dans les grandes villes. Même les déchetteries sont maintenant à 10 ou 15km des habitants ! La volonté de faire rouler les bagnoles s’accroît .. Les études de rationalisation des entreprises, ou des collectivités sont faites par des sociétés sous contrôle des investisseurs dans le pétrole…

Laisser un commentaire