Par bien des aspects, le moment que nous vivons ressemble à une voie sans issue. Pourtant, confrontés à des défis historiques, nous avons commencé à repenser nos modes de représentation, de consommation, de production et finalement nos modes de vie. Au cœur de ces transformations, l’alimentation se retrouve à la croisée de tous les chemins, car de la façon dont nous mangeons dépend la façon dont nous structurons notre rapport à la nature, au temps et aux autres.
Après un demi-siècle passé à servir les excès d’une société de consommation où l’objectif résidait dans l’abolition de toutes les frontières, qu’elles soient géographiques, temporelles ou performancielles, celui qui s’ouvre nous donne la possibilité de reprendre la main sur un modèle qui après nous avoir totalement échappé, nous conduit directement à notre perte en imposant le déséquilibre comme principe de propulsion. Le syndrome le plus criant de ce déséquilibre réside probablement dans le contraste saisissant entre deux chiffres identiques :
800 millions : c’est le nombre de personnes obèses dans le monde.
800 millions : c’est le nombre de personnes qui souffrent de malnutrition.
Or, l’arrivée sur le marché de l’alimentation de 2,5 milliards de bouches supplémentaires à nourrir d’ici 2050, fait peser sur nous un défi qui dépasse de loin tous ceux que nous avons eu à relever jusqu’à présent. L’avantage d’un déséquilibre, c’est que la correction qui intervient sur un des excès corrige souvent l’excès inverse. Il en va ainsi pour ce qui est de l’alimentation où la mise en place de modèles de production et de distribution plus responsables, permettra de corriger les abus d’un modèle qui affaiblit ceux qui mangent mal, tue ceux qui mangent trop peu et dans les deux cas, épuise notre planète.
Lors de son discours devant une assemblée de grands chefs français et étrangers réunis à l’Elysée sous l’égide des Bocuse d’Or, le Président Macron a lancé à son auditoire un objectif en forme de défi, « faire de la France, le pays où l’on mange le mieux », c’est à dire celui où l’on mange le plus sainement et le plus durablement. Le fait de s’appuyer sur l’élite de la gastronomie pour fonder ce message n’est pas un effet de style, car si la gastronomie n’est que la part émergée de la cuisine, elle porte une autorité technique et morale et une influence indéniable et utile sur l’ensemble de la filière alimentaire.
Par ailleurs, alors que pendant des siècles, c’est la terre qui a influencé le cuisinier et le consommateur, il semble que le moment soit venu pour le consommateur et le cuisinier d’influencer la terre. En effet, si c’est par notre alimentation débridée, homogénéisée, sur-sucrée, sur-salée, sur-protéinée et surabondante que nous avons détruit une partie de notre écosystème et de notre capital santé, c’est bien par une prise de conscience individuelle et par une modification substantielle de nos habitudes de consommation que nous pourrons renouer avec une alimentation saine, responsable et heureuse.
Car manger, ce n’est pas seulement mastiquer et ça ne peut pas vouloir dire « je veux manger tout, partout et tout le temps »… au contraire, manger c’est faire du soi avec de l’autre, c’est faire des choix et c’est agir, profondément et durablement, à trois niveaux de notre environnement et de notre société par un triple ancrage territorial, temporel et humain.
En effet, ce que nous mangeons et ce que nous buvons sont issus de territoires et donc de terroirs dont ils sont les témoins. Ainsi le vin que nous buvons est-il d’abord et avant tout l’expression d’un terroir dont le raisin, gorgé des caractéristiques géologiques et climatiques de sa terre, est un véhicule jusqu’à notre verre. De la même manière, les zones de pâturages donnent au lait de la vache et à sa viande des caractéristiques aromatiques et organoleptiques qui vont transformer le produit et ses qualités. Il en va ainsi pour la quasi totalité des aliments, bruts ou transformés, que nous consommons.
Dès lors, qu’attendre des produits laitiers issus de bêtes qui n’ont jamais connu autre chose que le fourrage et les concentrés… ou d’un poulet élevé en 35 jours, compressé par des dizaines de milliers d’autres, dans un hangar gigantesque, planté au milieu de nulle part et où seules des rangées de néons font office d’astre, ou d’œufs issus de poules enfermées à 16 dans une cage d’un mètre carré ? Ces pratiques correspondent avant tout à un mode de vie obsolète par lequel le principe de la consommation de masse s’est imposé au lendemain de la seconde guerre mondiale.
De la même manière, à l’autre bout de la pyramide sociale, certains ont cru utile d’ériger en mode de consommation l’accès à l’inaccessible, quand par exemple, attablés dans le 7ème arrondissement de Paris et découpant fièrement leur viande de Kobé ou d’Argentine, ils ignorent leur terroir en goutant mal celui d’un autre.
À l’heure où les grandes migrations commencent, de notre capacité à redonner à chaque terroir sa place dans la production de valeur ajoutée, dépendent les conditions de création de nouveaux ancrages territoriaux. Ainsi, alors que nous ne savons pas comment accueillir et intégrer un flux croissant de migrants, la possibilité de former certains d’entre eux à l’agriculture raisonnée et de leur confier de petites parcelles de terre dans des zones rurales aujourd’hui délaissées pourrait nous permettre de juxtaposer des projets d’intégration sociale, de revitalisation territoriale et de transition agricole.
Enfin, l’avenir d’une partie de l’Afrique et de l’Asie se jouera sur la sédentarisation par la culture des sols et la capacité retrouvée d’un certain nombre de territoires à renouer avec l’autosuffisance alimentaire sans laquelle aucune stabilité politique n’est possible. De ce que nous seront capables d’insuffler en Afrique dépend une partie de notre propre stabilité. Par ailleurs rappelons-nous toujours que l’Afrique n’est pas un entrepôt ou un terrain d’expérimentation ou d’enfouissement, c’est la mère de l’humanité.
Ce que nous mangeons permet également de respecter l’ancrage temporel, en effet, si la nature vit au rythme de 4 saisons, c’est que ces dernières y jouent des rôles très différents, permettant le moment venu de générer et de régénérer ce qui doit l’être. Respecter ces temps est tout à la fois bénéfique pour la nature mais aussi pour notre organisme. Ainsi, les petits pois, les truffes, les noix de saint jacques, les tomates, les asperges ou les artichauts viennent en leur temps et permettent de donner la quintessence de leurs vertus à ces moments-là. Nous devons renouer avec ces rythmes et en faire une saine respiration, pour nous, pour l’animation de nos produits et pour le respect de la terre et de la mer.
Enfin la nourriture, sa production, sa transformation et finalement ceux qui la cuisinent créent les conditions de l’ancrage humain et de la vie en société. A ce titre, les cantines d’écoles ou de maisons de retraite ainsi que les restaurants d’entreprises devraient être autant de points de rencontres, de dialogue et d’échanges entre ceux qui produisent, ceux qui cuisinent et ceux qui mangent. Ceux qui cuisinent, des tables étoilées aux restaurants collectifs, ont la responsabilité de choisir les produits, d’expliquer leurs choix et finalement d’utiliser nos assiettes pour y retranscrire ces ancrages territoriaux et temporels afin que chacun puisse se les approprier.
Au lieu de cela, aujourd’hui, souvent lassés de la cuisine industrielle, sans goût, sans saveur et sans histoire des réfectoires en tous genres, nombreux sont ceux qui se réfugient dans la consommation individuelle des chaines du prêt à manger, un casque sur les oreilles ou les yeux rivés à un écran. La conscience de ce que nous mangeons est un élément essentiel de notre façon d’être au monde. On ne devrait jamais manger distraitement.
On peut d’ailleurs se réjouir de voir de plus en plus de communes qui développent des initiatives formidables autour de l’approvisionnement de produits exclusivement locaux, la mise en place de recettes maisons et locales ou la visite de producteurs pour redonner une réalité aux produits et éduquer au goût et aux odeurs. Certaines mairies ont développé le « co-cantinage » permettant aux retraités de venir déjeuner avec les enfants pour le prix d’un repas d’écolier. Une initiative qui permet tout à la fois de sortir certaines personnes âgées de leur solitude, de leur donner une alternative alimentaire équilibrée et peu onéreuse et de brasser les générations pour le bien de tous.
De la même manière qu’il existe une exception culturelle française, il est nécessaire de définir une exception alimentaire afin d’assurer notre autonomie et de garantir qu’elle se fasse sur la double assurance du développement durable et de la santé. À ce titre, la plupart des produits alimentaires devraient être exclus des accords de libre échange mondiaux que nous signons.
Mais il serait facile de faire porter aux traités internationaux et aux règlements européens la responsabilité pleine et entière du déclin de notre alimentation. C’est d’abord à chacun de nous, face à ses choix quotidiens, de s’informer, de savoir, de faire savoir et de choisir les produits qui respectent l’environnement, qui respectent nos organismes et qui respectent les producteurs, en acceptant de payer le juste prix à ceux qui par leur travail, nous nourrissent.
Enfin, après des décennies d’agriculture intensive et de cuisine mondiale, il est temps pour ce pays aux terroirs exceptionnels et à la culture culinaire unique de sceller un nouveau pacte qui permette à chacun de travailler dans le temps et de donner à tous, de la cantine de l’école primaire de la Chapelle du Bois au restaurant chic du triangle d’or parisien, une cuisine qui en plus de flatter les sens, soit porteuse de sens, car finalement, on ne se nourrit bien que de ce que l’on comprend.
Le Pacte Citoyen de l’Alimentation
Parce que l’alimentation est au cœur de nos vies de citoyens, il faut un contrat moral et social qui engage la Nation envers ceux qui la nourrissent :
Pour que partout les paysans puissent vivre dignement de leur travail :
La transparence sur les marges et le prix payé au producteur tu observeras attentivement
Sur le prix le plus bas tu ne focaliseras pas toujours mais sur la qualité
La valeur ajoutée tu répartiras équitablement tout au long des filières
Ainsi par des emplois non délocalisables tu assureras le dynamisme des territoires
La traçabilité et la sécurité sanitaire de la fourche à la fourchette tu exigeras assurément.
La diététique de cette première médecine tu vulgariseras
Le goût de l’authentique et les saveurs de terroir tu favoriseras
L’approvisionnement des cantines tu garantiras au moins pour moitié en produits locaux.
Le gaspillage alimentaire tu éviteras et pour comprendre que la nourriture a une valeur :
La gratuité des produits alimentaires tu interdiras dans les étals en promotion
Le surplus tu donneras aux associations caritatives
Les tendances alimentaires et les rites confessionnels de chacun tu respecteras
L’environnement et la biodiversité tu préserveras
De tous ces beaux paysages cultivés tu t’émerveilleras
Le bilan carbone de l’étable à la table tu amélioreras sans cesse vers la neutralité
De la condition animale mais aussi du bien-être des éleveurs tu te soucieras
Par l’aide au développement et la paix tu réduiras la faim dans le monde et les migrations
A la souveraineté alimentaire de la Nation tu veilleras stratégiquement
Nos traditions culinaires et notre gastronomie tu transmettras
Avec tous ces bons produits issus de la terre et de la mer tu cuisineras
Ainsi par le partage et la convivialité, tu perpétueras cet art de vivre à la française.
A table, citoyens !
salut Xavier , j’avais envoyé le PCA à Audrey pour sa fête le 23 juin dernier afin qu’elle soumette à mon cousin le Rat de ville ; j’espère qu’il a aimé et que le PCA sera le nom de la nouvelle loi promise pour 2018 après la révision de cette loi devenue assassine, la LME !
Monsieur le Président,
je vous fais une lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps de prendre des nouvelles du front de la Somme où la guerre des prix fait rage encore. Le vendredi 24 novembre a été une journée noire où nous avons essuyé une nouvelle offensive commerciale, d’une ampleur sans précédent, et qui fût très destructrice de valeur. Malgré la signature de la charte, je sais que je ne verrai pas ma solde, l’argent du beurre. Même si le moral des troupes est au plus bas, loin de moi l’idée de déserter car je suis bien sûr du côté des volontaires. Certes je ne suis pas maréchal mais juste un lieutenant de réserve qui aspire à un armistice en 18 car je ne veux pas que mes compagnons d’infortune, ces forces-là en bonnets rouges et sans solutions, se mettent en marche pour bloquer la logistique des centrales d’achat. Après les révoltes vigneronnes de 1907 dans le Languedoc, je ne souhaite pas que cet hiver 17 sonne l’heure de la révolte des gueux que nous sommes devenus.
Oh ! Comme je suis las de cette guerre infâme et de ce monde agricole ancien qui ose encore défendre, malgré la ligne rouge, l’emploi des armes chimiques ! Avant que l’ypérite ne me coupe le souffle et pour m’extirper de cette fange où les rats pullulent, au Commandement unique de ma conscience de patriote doullennais, je suis sorti à découvert de ma tranchée sans masque et sans arme. Je n’ai désormais que ma plume pour tenter de dompter un Hydre à quatre têtes dont la puissance d’achat dépasse les cent milliards d’euros.
L’espoir de le contraindre par la loi avec le Pacte Citoyen de l’Alimentation ne m’a pas quitté malgré le ricanement alentour des sceptiques et je milite clairement pour l’abrogation, du moins la révision, de cette foutue loi devenue assassine, la LME. Des penseurs comme Michel Serres et mêmes des sociologues parlent sans tabou d’ethnocide : 732 de nos valeureux agriculteurs se seraient donnés la mort en 2016. A combien s’élèvera le macabre décompte cette année ?
Adieu la vie, adieu l’amour ! Je ne crois pas et vous aussi, je le sens, que les paysans de France sont tous des condamnés et seront sacrifiés jusqu’à laisser leur peau, comme à Craonne sur le plateau… servis en martyrs sur l’autel de la distribution ou des marchés mondiaux.