L’injustice partout, la cohésion nulle part

Les premiers mois du quinquennat sont désormais passés et après l’embellie habituelle des étés néo-présidentiels, le temps s’est déjà couvert sur un mandat que l’on sait être décisif pour son pilote mais surtout pour la France et l’avenir de son modèle social, démocratique et républicain.

Les premières réformes ont été lancées tambour battant, la croissance frémit enfin, la confiance des chefs d’entreprise se redresse, la France est de nouveau au rendez-vous du concert des grandes nations de ce monde, les Jeux Olympiques seront français en 2024, notre Président ressemble de plus en plus à Bonaparte sur le Pont d’Arcole, et pourtant la troupe ne suit pas. Echaudée par 30 ans de promesses non tenues, d’abus de confiance et de résultats catastrophiques, les Français boudent l’enthousiasme d’un pays qui pourrait trouver l’occasion de refaire enfin la course en tête des nations au sein desquelles il fait bon naitre, apprendre, travailler, cultiver, manger, se soigner, se reposer, vivre et finalement mourir.

Le mal est profond, ancré au cœur d’un peuple qui ne croit plus à la promesse politique et qui, écœuré par des décennies de légiférations aussi pléthoriques qu’inefficaces, doute de l’efficience de chaque nouveau texte qu’adoptent nos parlementaires.

En réalité l’action politique ne retrouvera son crédit ni de la volonté, ni de la probité, ni même de l’action, mais uniquement devant le tableau de bord incontestable de résultats étincelants. Car, après quelques mois du mandat du Président Macron, et malgré les premières promesses tenues, le fait est que la « vie réelle » des « français réels » n’a pas changé et qu’au lendemain de la rentrée, le chômage de masse est toujours là, la précarité toujours palpable pour des millions de travailleurs, le pouvoir d’achat reste en berne pour des millions de ménages et ce, « pendant que le dealer de la cage de l’escalier B continue son trafic en toute impunité. »

Par ailleurs, pris par l’impérieuse nécessité d’agir vite pour faire bouger des lignes prises dans le béton armé des conservatismes de tous bords, ce quinquennat loupe le nécessaire récit d’une action qui demeure illisible pour la plupart des français et qui nourrit ce sentiment dominant, macéré au creuset de 40 ans de crises, celui de l’injustice.

C’est désormais à la lumière de cette torche incendiaire que l’on mesure chaque parole, chaque posture, chaque revendication, chaque geste, des politiques, des journalistes, des chefs d’entreprises, des juges, des policiers, des médecins, des notaires, des retraités, des étudiants… bref de chaque cellule malade d’un organisme où la tumeur de la défiance a semé ses métastases.

Dans un modèle où chacun souffre de quelque chose, n’en soigner qu’une partie est forcément injuste ;
Dans une société où tout semble à repenser, faire quelque chose c’est ne pas en faire assez ou ne pas faire ce qu’il faut ;
Dans une organisation de la solidarité qui prend l’eau de toutes parts, entendre les retraités, c’est nier la souffrance des jeunes, aider les étudiants, c’est oublier les classes moyennes, alléger la fiscalité des plus riches c’est restreindre la solidarité nationale, taxer les signes extérieurs de richesse c’est faire fuir les capitaux, réduire les APL c’est étouffer les petits locataires, les augmenter c’est favoriser l’augmentation des loyers au profit des propriétaires, etc, etc.

Derrière ces procès permanents en injustice se cache la triste et dangereuse réalité d’un peuple qui a tourné le dos à la cohésion dont on fait les nations et qui conclut la devise républicaine d’une vibrante mais désormais inexistante Fraternité. Les corporatismes, les particularismes et finalement les égoïsmes ont pris le pas sur les valeurs centrales de cohésion avec lesquelles nous avions imaginé un contrat social et bâti cinq Républiques. Pire encore, ces particularismes savent s’unir dès lors qu’ils se reconnaissent pour former le communautarisme qui finit de fracturer le ciment de notre République « démocratique, laïque et sociale. »

Plus que jamais, le rôle du Président de la République consiste à garantir l’unité de la Nation afin de contenir les débordements de ceux qui rêvent de voir la rue en découdre et la violence renverser les urnes. Pour cela, « faire bouger les lignes » ne sera pas suffisant et peut même s’avérer dangereux dans un pays où la ligne qui bouge empiète désormais toujours sur le périmètre protégé d’un autre. Pour transformer ce pays, il faudra changer de plan et fracturer les vieilles lignes pour en dessiner de nouvelles:

– Un nouveau contrat social qui abolisse les fractures territoriales (éducatives, sanitaires, culturelles et professionnelles.)
– Un nouveau pacte républicain qui aille au bout du renouvellement de la classe dirigeante (politique, syndicale ou administrative) et qui rétablisse la laïcité dans son principe.
– Un nouveau partage qui permette par la participation et l’actionnariat salarié de mieux répartir la richesse créée afin que chacun à son échelle puisse accéder à la constitution de son patrimoine.

Face au sentiment d’injustice ressassé, voilà, ce qui est susceptible de corriger les déséquilibres qui nourrissent tout à la fois un système en déclin et les égoïsmes qui s’en abreuvent ; non plus les ajustements d’un modèle sans cesse subventionné mais la force d’en proposer un nouveau.

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