Le 7 janvier 2015, 2 terroristes faisaient irruption dans les locaux de Charlie Hebdo, haine et bêtise en bandoulière et AK47 au poing, ils abattaient 11 personnes, ouvrant un des pires épisodes terroristes que notre pays ait connus et qui se termina quelques jours plus tard dans l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes, portant le bilan de cette semaine sanglante à 17 victimes.
Dans les heures qui suivirent l’assassinat des membres de la rédaction de Charlie Hebdo, un message né sur Twitter devint un cri de ralliement, #jesuischarlie. Personne alors n’eut besoin de l’expliquer tant il semblait limpide, tant il faisait écho à la douleur, à la peur, à la stupéfaction.
J’ai moi-même écrit ces mots pendant plusieurs jours, plusieurs semaines, sans jamais ressentir la nécessité de devoir les définir et sans jamais imaginer devoir me justifier. Il arrive que pour faire nation, les citoyens se regroupent autour d’un lieu, autour d’un feu, autour d’un totem… et c’est exactement ce que fut cet hashtag.
Mais voilà, quelques années plus tard et alors que nous nous souvenons de cette semaine en enfer, il semble que ce ne soit plus aussi simple, il semble que ce ne soit plus totalement «évident» d’être Charlie et qu’il faille expliquer pourquoi. Pourquoi ?
Peut-être parce que chaque balle qui a atteint Cabu a transpercé le droit de dessiner librement;
peut-être parce que le dernier souffle de Wolinski fut celui du droit de rire de tout;
peut-être parce que lorsque Charb s’est dressé devant ses bourreaux, c’est notre honneur qui se tenait sur ses jambes;
peut-être parce que quand le corps de Tignous s’est effondré sous les balles, c’est notre liberté de caricaturer qui est tombée;
peut-être parce que nous ne pourrons plus jamais rire ou nous indigner des dessins d’Honoré;
peut-être parce que la mort de l’oncle Bernard (Maris) c’est celle de l’intelligence bienveillante;
peut-être parce que les balles qui ont touché Elsa Cayat ont transpercé aussi l’émancipation des femmes;
peut-être parce que c’est notre liberté de blasphémer qui a été atteinte en pleine tête ce 7 janvier maudit;
peut-être parce que la liberté de la presse est inconditionnelle et irréductible surtout quand elle nous irrite;
peut-être enfin parce qu’aucun mot ne justifie que l’on puisse arracher la vie à autrui mais aussi parce que nous avons irrémédiablement besoin des mots pour arracher la liberté au totalitarisme, d’où qu’il vienne.
Je ne lis pas Charlie toutes les semaines, je ne ris pas à tous les dessins de Charlie, je ne souscris pas à toutes les tribunes de Charlie, et pourtant, depuis ce 7 janvier, sans avoir besoin de me dissoudre dans la ligne éditoriale de Charlie Hebdo, #jesuischarlie et il ne me viendrait jamais l’idée de ne plus l’être tant qu’on ne nous aura pas rendu Cabu, Wolinski, Tignous, Michel Renaud, Mustapha Ourrad, Ahmed Merabet, Bernard Maris, Honoré, Charb, Elsa Cayat, Franck Brinsolaro, Frédéric Boisseau, Clarissa Jean-Philippe, Yoav Hattab, Philippe Braham, Yohan Cohen, François-Michel Saada et toute la liberté, l’insouciance, les rires, les sourires, les engueulades, les indignations, les débats et les dessins qu’on nous a volés à jamais, les 7, 8 et 9 janvier 2015.