Au cœur d’un mois de mai 2018 semé de jours fériés, des voix se sont élevées pour poser sur la table la nécessité de les maintenir tous et de peut-être envisager d’en travailler un de plus. Cependant, au-delà du débat sur le nombre de jours fériés en France, le temps est peut-être venu de réfléchir au sens qui leur est donné ou à celui qu’il leur reste, quand pour certains, ils sont posés dans notre calendrier comme de vieux bibelots que plus personne ne voit mais que tout le monde utilise, sans plus savoir pourquoi. Et si, loin de les éliminer au nom du capitalisme triomphant, nous leur redonnions une fonction et du sens, au nom de l’engagement républicain, de la fraternité, du civisme et du citoyen éclipsé depuis trop longtemps par l’individu.
Du 1er janvier au 25 décembre, il existe 11 jours fériés respectés sur la totalité du territoire. 6 d’entre eux relèvent d’une fête strictement religieuse même si noël s’apparente de plus en plus à une fête païenne célébrée bien au-delà de la communauté chrétienne.
Instaurés initialement pour chômer et célébrer en communion populaire, religieuse ou nationale des moments particuliers de l’histoire de notre pays où de ses habitants, les jours fériés ont pris une tournure nouvelle au cours de la 2ème partie du 20ème siècle pour finalement devenir des jours dédiés aux loisirs et à la consommation qui les accompagne, que ce soit sur ces journées seules ou au cours de ce que nous appelons désormais « les ponts ». Une aubaine pour un certain nombre d’acteurs économiques qui en profitent pleinement – et ils ont bien raison – et pour ceux des citoyens qui ont les moyens d’en profiter aussi.
Pour les autres, c’est une occasion de plus de passer devant la vitrine de tout ce que la société de consommation propose sans pouvoir s’y arrêter. Pour les entreprises et les écoles enfin, ce sont des casse-têtes plus ou moins inextricables dont finalement tout le monde se satisfait en secret.
Au final, plus personne ne sait vraiment ce que tentent de célébrer le jeudi de l’ascension, le 15 août ou le lundi de Pentecôte, et est-ce véritablement un mal quand on découvre par exemple que le 15 août est férié depuis 1638, date à laquelle le roi Louis XIII a confié le Royaume de France à la Vierge Marie pour la remercier d’avoir permis à sa femme Anne d’Autriche de tomber enceinte après de nombreuses années de mariage…
Même le 11 novembre qui commémore la fin de la Grande Guerre, peine désormais à mobiliser au-delà des associations d’anciens combattants et des élus locaux. Et pourtant, il y aurait tant à dire, et peut-être tant à faire, tous les 11 novembre.
A l’heure où nous peinons à retrouver le centre de gravité de la laïcité dans une République où les équilibres religieux se transforment, certains militent pour que les jours fériés strictement religieux soient transformés en jours de congés payés de manière à ce que chacun puisse les utiliser selon les fêtes et circonstances de sa croyance ou d’ailleurs, de sa non croyance. Cette option empreinte de stricte neutralité a cependant l’inconvénient de fragmenter un peu plus le calendrier national et d’accentuer la pente douce dans laquelle nous sommes engagés, celle du repli communautaire.
Ainsi, alors que nous cherchons les moyens de recréer des temps et des lieux où l’on pourrait faire l’apprentissage du triptyque républicain, il me semble que c’est dans l’action civique et solidaire que toutes les conditions pourraient se trouver réunies et que les jours fériés pourraient en être un socle.
Par ailleurs, s’il subsiste des guerres qu’il nous faut mener et gagner sur notre sol, ce sont bien celles de l’environnement, de la cohésion sociale, du civisme et de la solidarité. Si nous perdons ces combats-là, il ne servira plus à rien d’en gagner ailleurs car nous n’aurons plus de modèle de civilisation et de progrès à donner en exemple.
Or, pour l’heure, nous perdons:
- Notre environnement est menacé, et pas seulement par des phénomènes industriels qui nous dépassent mais bien par notre irresponsabilité et parfois notre incivisme quotidien ;
- Notre cohésion sociale est en lambeau, éparpillée façon puzzle par les fractures territoriales, économiques et culturelles qui ghettoïsent les populations et les esprits ;
- Enfin, fragilisés par 40 ans de crises, les mécanismes de solidarité nationale s’érodent et se grippent, laissant la place au chacun pour soi sur lequel prospèrent les communautarismes qui rêvent de remplacer la Constitution par de saintes écritures et le citoyen par le fidèle.
Pour contrer ces phénomènes, tout est imaginé, y compris un retour à ce qui a longtemps servi de socle générationnel aux jeunes Français et de creuset à la communauté nationale, le service militaire. Cette option couteuse et datée semble finalement devoir être écartée. En remplacement, un service civil pourrait voir le jour, conduisant une classe d’âge de jeunes filles et jeunes garçons à se rendre utile à leur pays pendant 3 à 6 mois. C’est une option intéressante même si elle peut s’avérer couteuse. Par ailleurs, elle ne permet pas le brassage intergénérationnel qui est pourtant un enjeu majeur de la cohésion nationale à l’heure où le rallongement de la vie influence notre modèle social et l’organisation des familles.
Or, en utilisant les jours fériés, nous pourrions compléter ce service civil par des Journées Universelles de Solidarité qui s’adresseraient à tous les citoyens, sans aucune distinction, et qui d’année en année seraient l’occasion de faire vivre, par l’action collective, les valeurs de notre pays et les grands enjeux qui y sont attachés.
Pour se faire, des journées y seraient allouées en transformant 4 jours fériés annuels en Journées Universelles de Solidarité. Ces moments de cohésion permettraient de redonner tout leur sens aux jours fériés en question, celui de la fraternité dans l’action et pour le bien commun. 4 jours de solidarité et d’action, une pour la terre, une pour les anciens, une pour l’alimentation, une pour le handicap.
- Ainsi une journée pourrait être dédiée à l’environnement et au nettoyage des plages, des lacs, des cours d’eaux, des forêts et des espaces verts.
- De la même manière, une journée permettrait à chacun de participer à l’action en faveur des personnes âgées et des lieux qui les accueillent.
- Une troisième journée serait dédié à l’alimentation saine et durable et à la solidarité alimentaire.
- Enfin, une quatrième journée serait proclamée journée d’aide et d’aménagement en faveur de tous les handicaps.
4 journées, ensemble, sans distinction d’âge, de religion, de position sociale, dans l’action, au service des autres et de la chose publique, en un mot, pour la République.
L’organisation de ces quatre journées devrait être déléguée aux communes et intercommunalités, c’est-à-dire aux structures de représentation et d’action les plus proches des citoyens, avec le concours logistique des conseils départementaux et régionaux ainsi que des Préfectures. Les communes s’appuieraient également sur le tissu des associations déclarées d’utilité publique pour chacun de ces grands thèmes et sur l’expertise d’associations qui ont d’ores et déjà développé ce genre d’initiative comme La Journée Citoyenne qui réunit plus de 700 communes en France,
La participation des citoyens à chacune de ces journées pourrait être comptabilisée de manière à ce que ceux qui le souhaitent obtiennent un certificat qui puisse servir de référence. En revanche, ces journées ne devraient donner lieu à aucune contrepartie financière, car dès lors, leur caractère civique et solidaire disparaitrait. C’est la force de l’engagement collectif qui devrait entrainer la plupart des Français à entrer dans l’action, comme cela peut encore nous arriver de temps en temps à l’occasion de grandes victoires ou malheureusement de grandes peines.
La volumétrie de travail ainsi dégagée serait très importante puisque ces quatre journées permettraient de mobiliser potentiellement plusieurs millions d’équivalents jours travaillés; mais plus fondamentalement, ces journées permettraient de redonner un sens à des instants abandonnés par la République à la société de consommation, en les ancrant de nouveau dans l’agir collectif et dans la Fraternité, grande sacrifiée de la devise de la République.
Bien sûr, certains s’agaceront, dénonçant l’incapacité de l’Etat, la mauvaise gestion publique, la fiscalité improductive et dénonceront le fait de devoir y palier, mais ce qui est en jeu ici, c’est notre capacité à nous engager pour notre pays, sans calcul, simplement en tant que citoyen, sans qu’il y ait besoin d’incitation, de niche, d’injonction ou de décoration. Il y a longtemps que nous déclarons notre flamme à la République en lui écrivant des mots d’amour enflammés, passionnés, enragés même… mais il en va des citoyennes et des citoyens comme des femmes et des hommes, et si l’amour peut s’écrire, il ne prend forme que dans les preuves que l’on donne de lui. La République nous donne beaucoup, en services, en attention, en accompagnement, en soins, elle nous protège partout dans le monde, elle nous permet d’étudier, de nous soigner, de chercher du travail, de travailler même… le citoyen lui doit en retour de respecter sa forme, indivisible, laïque, démocratique et sociale, de parler sa langue, de respecter son drapeau, de connaitre son hymne, d’obéir à sa loi, de servir les trois promesses de sa devise et de respecter son principe ainsi écrit dans notre constitution « Le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », lequel rappelle finalement à chacun de nous que nous sommes une part d’elle.