Dans un essai qui servit de préface à un livre publié à l’occasion de l’Exposition universelle de 1867, Victor Hugo décrit ce qui forge le destin de Paris: « Rome a plus de majesté, Trèves a plus d’ancienneté, Venise a plus de beauté, Naples a plus de grâce, Londres a plus de richesse. Qu’a donc Paris ? La révolution.
Paris est la ville pivot sur laquelle, à un jour donné, l’histoire a tourné.
Palerme a l’Etna, Paris a la pensée. Constantinople est plus près du soleil, Paris est plus près de la civilisation. Athènes a bâti le Parthénon, mais Paris a démoli la Bastille. »
Je ne suis pas parisien, je suis un de ces provinciaux, hypnotisé par cette ville hors norme, qui y est « monté », le cœur rempli d’ambition, pour y faire des études en imaginant plus, beaucoup plus. C’était il y a 25 ans. Quand on a grandi en Province, Paris est une ville imaginaire, celle de la culture, de l’excellence et des pouvoirs. Elle est inatteignable, elle est insaisissable et elle le reste longtemps après que l’on ait décidé d’y vivre.
D’ailleurs, Paris ne se donne pas, elle se prend, elle s’apprend, d’abord avec les yeux, par la contemplation ébahie de ses perspectives monumentales, de ses grandes avenues et de ses monuments qui racontent une Histoire qui ne saurait souffrir de minuscule.
Elle se mérite ensuite par la marche. J’ai découvert Paris avec les moyens de l’étudiant que j’étais, en l’arpentant en métro, en bus et à pied, en lisant ses plaques de rues. Car Paris est une déambulation, qui, si elle est appliquée, permet de dénicher les coins et recoins d’une ville qui s’est bâtie en 6000 ans et dont chaque âge se visite, des trois pirogues néolithiques de Bercy jusqu’à l’hôtel de Sens, de la butte Bergeyre jusqu’à la butte aux cailles, du Palais Royal au Palais Brongniart, des fondations de Lutèce jusqu’au sommet de la Tour Eiffel.
Cette ville est un livre que chacun peut parcourir selon son degré d’envie ou d’expertise et après 25 ans passés à le lire, j’y découvre encore des chapitres inédits, des pages oubliées, et j’y relis mes passages préférés comme ces matins où je traverse la place de la Concorde avant que la furie ne s’en empare ou tous ces soirs où je passe sur le pont du même nom au moment où le soleil se couche sur la Seine, aux pieds de la tour Eiffel.
Cependant, si je ne me suis jamais habitué à remonter du Pont Alexandre III jusqu’aux Invalides sans reprendre ma respiration, j’ai appris à vivre Paris et plus seulement à Paris. Ainsi, j’ai une par une, franchi les grilles des bâtiments officiels, arpenté ses marchés, humé l’atmosphère de ses églises, gouté ses restaurants, visité ses jardins, habités dans le Nord, dans le Sud, dans l’Ouest et dans l’Est, j’ai vu sous mon parapluie, un matin de novembre 1996, entrer Malraux au Panthéon, j’ai remonté les Champs-Élysées un soir de Juillet 1998, assisté à l’éclipse d’août 99 sur le champs de Mars, joué à la pétanque l’été sous les platanes de la place Dauphine, défilé pour Charlie, statique, un dimanche après-midi de janvier 2015 et vécu la nuit écarlate du 13 novembre accroché à mon écran en entendant le ballet incessant des sirènes ; j’ai vu la neige, la crue, l’orage, la tempête et même la plage s’installer sur le bitume des quais de seine.
J’ai vu également la qualité de l’air se dégrader jusqu’à ce qu’on suffoque et que l’on cherche à prendre la fuite certains soirs d’été, j’ai vu la circulation saturée jusqu’à la congestion, j’ai vu la pauvreté s’installer sous les porches, des enfants faire la manche sur les grandes avenues, les femmes se faire agresser pour rien, pour un collier, pour un téléphone ou pour une jupe, j’ai vu la saleté joncher les trottoirs et les rats courir sur les terrasses, j’ai vu les entreprises (comme la mienne) passer le périphérique et les places de parking se vendre à prix d’or, j’ai vu les petits commerçants tirer leurs rideaux et les enseignes mondiales les remplacer, j’ai vu Paris se transformer en musée, ouvrant les bras à la planète touristique tout en repoussant ses propres enfants vers la périphérie.
Il en va de Paris comme de beaucoup de vieilles et belles capitales européennes, où finalement, les habitants sont chassés par la qualité d’une vie qui se dégrade et son coût qui se déchaine. Au final, certains quartiers se transforment en dortoirs touristiques où les commerces de proximité disparaissent lentement pour laisser la place à des enseignes internationales qui balisent désormais le parcours des voyageurs de Paris à Tokyo et de Los Angeles à Florence. Cette dérive est dangereuse car elle mène les villes dans un no man’s land culturel et social où elles perdent ce qui fait leur âme, c’est à dire leur population, pour finalement ne garder que leur sublime enveloppe, totalement vide.
La bataille de Paris va s’ouvrir. Elle se jouera peut-être sur un casting alors qu’elle devrait se jouer sur un projet, un grand projet, le projet que cette ville mérite, le projet que cette ville doit à son pays, à son continent même, celui d’une ville phare où l’on ne se contente pas de regarder l’Histoire passer mais où l’on trouve la force et l’inspiration pour continuer à fabriquer celle d’aujourd’hui et de demain ; le projet d’une ville qui a une identité, celle des parisiens ; le projet d’une ville qui doit apprendre à mieux accueillir ; le projet d’une ville qui doit rendre aux régions de France tout ce qu’elles lui donnent de beau et de bon ; le projet d’une ville d’art, moderne et audacieuse ; le projet d’une ville qui permet à ses enfants d’y grandir en bonne santé pour y devenir des citoyens agissants ; le projet d’une ville unique au monde et ouverte sur le monde.
Un projet de transformation qui devrait s’appuyer sur trois sujets majeurs :
– L’air :
À l’heure où les grandes capitales du monde se livrent une violente bataille économique et fiscale pour se rendre attractives aux yeux des entreprises et des institutions, la valeur cardinale qui dans l’avenir décidera de leur implantation, c’est la possibilité de respirer sans s’empoisonner. Il n’y a pas d’entreprises sans collaborateurs, et pas de collaborateurs sans enfants. Il n’existe aucun avenir pour les villes qui seront incapables de rendre leur atmosphère saine.
Cela passe par un plan qui permette d’éradiquer les véhicules thermiques par des systèmes de mobilité propres, ergonomiques, fiables et rapides. C’est possible si nous sommes capables de trouver les bons partenaires et si ce chantier est mené en collaboration avec l’État, le Grand Paris et la Région Île de France.
Réduire la taille et le nombre de voies de circulation est une solution partielle et finalement inopérante si l’on ne réduit pas en même temps le nombre de véhicules. Cela passera forcément par des décisions fortes et courageuses, par la généralisation de la circulation alternée, la mise en place d’une vignette pour tous les véhicules thermiques, la construction de parkings en périphérie et la mise en place de nouveaux modèles de mobilité propre.
– La mobilité
Que ce soit en métro, en bus ou en RER, nous devons intégrer les transports en commun comme le premier mode de transport vers, de et dans Paris. Pour ce faire, le coût de la mobilité doit être porté et intégré dans la structure financière de l’éco-système qu’il sert, de manière à fluidifier son utilisation et pérenniser les investissements structurels nécessaires à la fiabilité et à la modernisation des matériels utilisés. Il n’existe pas de transports gratuits, mais si l’objectif est bien de généraliser l’utilisation de transports en commun non polluants, alors il faut généraliser son financement de manière à ce que chaque francilien en porte sa part.
Le financement des transports franciliens est aujourd’hui porté pour plus de 70% par les entreprises et les collectivités. Les 30% financés par la vente de titres de transport devrait être répartie sur l’ensemble de la population francilienne, sur les entrées touristiques (plus de 30 millions d’arrivées hôtelières), enfin sur la taxation des locations saisonnières de logements entiers puisque la libéralisation et la modernisation des transports parisiens se fera d’abord au bénéfice des propriétaires de la capitale.
– La revitalisation
Ramener la vie à l’intérieur de la cité passe par la quadrature d’un cercle vertueux où la sécurité, la propreté, la civilité et la participation de tous les citoyens permet de refonder le pacte qui fonde la seule croissance qui vaille, celle du bien être physique, moral et matériel.
Paris a compté près de 3 millions d’habitants au début du 20èmesiècle, c’est à dire presqu’un million de plus qu’aujourd’hui. Même si la course à la densité n’est pas un impératif, la perte de population sédentarisée marque l’appauvrissement du tissu social et de sa diversité ainsi que le rétrécissement du tissu de commerçants et d’artisans au profit de grandes enseignes nationales et internationales. Or, Paris ne pourra se contenter d’exister au travers de telle ou telle marque de hamburgers, de cafés aromatisés, de fringues espagnoles ou de supermarchés plus ou moins bio. S’il existe une exception culturelle française, il existe une exception alimentaire française et une exception artisanale française, qui ont fondé des métiers que nous devons favoriser et promouvoir au sein de la capitale.
De la même manière, il faut introduire la nature dans la ville par le verdissement des bâtiments (cours, toits et façades) et de tous les espaces rendus disponibles par le gain réalisé sur les voies de circulation. De nombreuses solutions innovantes fleurissent, Paris doit en devenir le jardin, et ce, dans chaque arrondissement, chaque quartier, chaque rue et chaque immeuble. Il existe 100.000 immeubles dans Paris, chacun doit porter un projet de verdissement, chacun.
Il faut décréter la tolérance zéro en terme de sécurité des biens et des personnes et ce, dans les 20 arrondissements de Paris, sur et sous terre, par le renforcement des moyens attribués à la surveillance et à l’intervention, par l’augmentation du nombre de policiers et le développement de brigades spécialisées selon les problématiques rencontrées (Brigade touristique, brigade transport, brigade propreté, etc.)
Il faut développer des solutions pérennes de logements pour les sans abris et les migrants dont les dossiers sont en instruction, comme cela fonctionne d’ores et déjà dans plusieurs villes des Etats-Unis, de Finlande ou du Canada.
Enfin, il faut repenser les modèles décisionnels à Paris comme à l’intérieur des grandes métropoles de manière à redonner de l’autonomie aux arrondissements, aux quartiers, voire aux immeubles, et mettre en place des outils de décision à travers les réseaux d’hyper-proximité, en généralisant l’utilisation des réseaux sociaux de proximité qui permettent dans les faits d’améliorer la vie quotidienne des habitants.
Il en va de Paris comme de certains de ses enfants, elle a un destin qui dépasse sa propre enveloppe, ses propres frontières, ses bâtiments et ses rues. Elle n’est pas faite pour accompagner son temps mais pour le préméditer et l’accomplir, elle n’est pas un musée, elle est le livre ouvert de l’Histoire qui s’écrit, elle est le cœur battant du progrès et de la liberté. Les grands enjeux auxquels est confrontée aujourd’hui la planète appellent non plus des actions, mais des révolutions, économiques, sociales, culturelles, psychologiques et urbaines.
Dans un monde où 55% de la population mondiale vit dans des villes (ce sera 70% en 2050), il est désormais incontournable que les solutions s’y trouvent ; Dans un modèle global où la complexité et l’inertie paralysent les politiques publiques, il est désormais évident que les solutions se situent au plus près des problématiques, au cœur de la vie des citoyens ; Dans un temps qui cherche des centres de gravité pour ne pas basculer dans le chaos, le rôle de Paris est sans le moindre doute de reprendre le flambeau qui lui revient, pour ouvrir la voie à une nouvelle génération de villes, responsables, saines et humaines. C’est le destin de Paris, comme ce fut déjà le cas dans une Histoire où la capitale de France a su faire pivoter les modèles quand ils étaient obsolètes, pour elle, pour son pays mais aussi pour le monde entier ; la révolution fut politique, artistique, architecturale, philosophique ou littéraire… Le temps d’une nouvelle révolution, urbaine et humaine, est arrivé.