La crise des Gilets Jaunes entre dans une nouvelle phase où l’exécutif reprend désormais la main et où les lignes semblent vouloir reprendre leur place. C’est effectivement ce que pourraient laisser croire la diminution du nombre de manifestants, les tensions entre les différents groupes de Gilets Jaunes désormais en compétition et l’image d’un Président plus efficace que jamais dans l’exercice de la controverse en public.
Le fait est que l’incendie est désormais circonscrit et que la crainte d’un mouvement insurrectionnel qui se serait généralisé semble écartée, du moins pour un temps, car si les flammes ne rougeoient plus sur les grandes avenues de la capitale, les braises, elles, couvent dans la cendre.
En effet, il serait aisé de penser que ce mouvement n’était qu’un spasme social, né d’une colère subite et dopé par des chaines d’infos en quête d’audience; il serait rassurant de se persuader que tout ceci doit plus à la mauvaise humeur gauloise qu’au malaise d’une société en perte de repères; il serait réconfortant de se laisser croire qu’il suffisait de lâcher un chèque, un questionnaire internet et trois performances présidentielles « live » pour que nos ronds-points retrouvent leur fluidité, nos territoires leur tranquillité et finalement notre société une cohésion toute neuve, solide et fraternelle.
Non évidemment, il ne « suffira » de rien pour régler une crise qui n’en est pas une. Les gilets jaunes sont le symptôme d’une longue faillite politique, le SOS d’un pacte social en miettes et d’une cohésion nationale terriblement affaiblie qui risque de s’effondrer en emportant avec elle la démocratie et la République. Les Gilets Jaunes nous parlent d’abandon, de misère, de précariat, de déserts médicaux, de travailleurs pauvres, d’horizons bouchés, mais aussi de notre incapacité à entendre, à écouter, à voir, à regarder et finalement à agir sauf pour accroitre encore un peu plus le fossé qui sépare les protégés des exposés, les visibles des invisibles, les mobiles des entravés. Les Gilets Jaunes sont le signal d’alarme d’une société en rupture, en rupture de dialogue, en rupture de valeurs partagées, en rupture de cohésion et même en rupture d’une langue commune.
Je suis, comme beaucoup, impressionné par la capacité de conviction d’Emmanuel Macron mais je sais également que ce ne sera pas suffisant car ce qui manque cruellement à ce pays depuis 40 ans, ce ne sont pas les idées, ce n’est pas la parole, c’est la capacité à les mettre efficacement en oeuvre. Notre crise, si crise il y a, c’est celle de l’action et celle de la gouvernance, c’est à dire des processus qui permettent d’exécuter les réformes une fois les discours prononcés. Or, aujourd’hui, les performances de ce Président-là font d’abord écho à un isolement qui le prive de courroie de transmission et qui a pour conséquence directe un décalage entre les annonces et les livrables, entre les intentions et l’exécution et finalement entre les mots et les choses.
Chaque Président élu depuis 40 ans, l’a été sur un diagnostic partagé et sur un programme soutenu par une majorité. Pourtant aucun de ces Présidents n’a tenu longtemps sans subir la contestation croissante des Français et ce phénomène s’amplifie. Nicolas Sarkozy a perdu au terme de son premier mandat, François Hollande n’a pas été en position de se représenter et Emmanuel Macron est fragilisé après seulement 18 mois.
Chaque mandat présidentiel contient une promesse cachée, une promesse qui n’est imprimée sur aucun programme mais que chaque citoyen devine, espère et attend. Celle d’Emmanuel Macron était incluse dans son élection et elle tient en trois mots: « Renverser la table ». Renverser la table c’est exactement ce qu’ont fait les Français en portant à l’Élysée un garçon de 39 ans, sans parti et sans l’histoire politique de ses prédécesseurs. La promesse cachée tenait donc à ce qu’à son tour il renverse la table de la gouvernance de ce pays et de son cortège technocratique, de sa reproduction des élites et son entre-soi. « Bâtir une France nouvelle » voilà ce qui était écrit sur la couverture du programme d’Emmanuel Macron, mais bâtir un nouveau modèle, ce n’est pas rafistoler l’ancien.
Pour renverser la table, il faut choisir soigneusement celles et ceux qui sont capables de mettre en place cette transition entre deux mondes, en faisant fi des calculs politiques, des amitiés de campagne et de l’entre-soi idéologique.
Pour renverser la table il faut savoir mettre en place rapidement des solutions qui favorisent des améliorations tangibles, visibles pour chacun et donc pour tous.
Pour renverser la table, il faut réformer moins mais réformer en profondeur et surtout s’assurer de l’effectivité de ces réformes et donc de leur exécution.
Pour renverser la table il faut commencer par modifier la structure de la haute fonction publique pour qu’elle cesse de digérer toute impulsion politique qui ne lui revient pas.
Pour renverser la table il faut également des circonstances qui le permettent, parfois exceptionnelles, toujours inédites. Se pourrait-il que l’irruption du mois de décembre nous en ait donné les raisons et finalement les moyens. C’est probablement le pari à faire, celui qui consiste à toujours voir derrière la menace une opportunité, celle, dans un monde en plein déséquilibre démographique, économique et démocratique, de faire de la France le berceau d’un nouveau modèle de société, plus équitable, plus raisonnable, plus équilibré, plus humain.
Le Grand Débat lancé il y a quelques jours est justement un exercice inédit. Le pire scénario ne réside pas dans la possibilité qu’il n’attire personne mais plutôt dans la perspective qu’il attire tout le monde, que les paroles se libèrent, que les contributions se multiplient, que les idées fleurissent… mais qu’il ne soit suivi d’aucun effet politique. Il va donc falloir que ce Grand Débat National serve à fonder un nouvel acte politique, y compris si celui-ci n’est pas inclus dans les propositions inscrites dans le programme présidentiel.
Une fois élu, le rôle d’un Président de la République n’est pas d’appliquer son programme comme un robot, simplement obnubilé par sa tache programmatique et par cette maxime « je fais ce que j’ai dit. » Le rôle d’un Président de la République est d’abord d’écouter son peuple, de préserver l’unité nationale, de protéger sa souveraineté et de porter une vision. Celui qui a en charge l’application de cette vision et l’exécution du programme n’est pas élu et il est révocable à chaque instant, c’est le Premier Ministre. C’est à lui d’accomplir, c’est à lui de tenir, c’est à lui de parler cash et de tester les points de résistance d’une opinion parfois en tension. Une fois qu’il a exécuté sa tâche, souvent usé jusqu’à la corde et quels que soient ses mérites, il est remercié et il doit attendre que le temps long reconnaisse la valeur de son action. C’est injuste mais c’est ainsi.
Par ailleurs c’est parce que le Premier Ministre assure la bonne gouvernance du pays et parce que les Ministres s’attachent à appliquer efficacement la feuille de route politique, que de son côté, le Président de la République peut remplir sa mission la plus essentielle dans un monde globalisé, c’est à dire peser de tout son poids pour faire bouger les lignes des modèles qui influencent nos politiques nationales, de l’Organisation Mondiale du Commerce à l’ONU, en commençant évidemment par l’Union Européenne.
Mais voilà on ne peut pas être tout à la fois dans la tactique et dans l’Histoire, dans la communication et dans l’action, dans l’incarnation et dans la gestion, dans la verticalité et dans le parler cash. Il faut choisir, il faut s’entourer et il faut que chacun soit à sa tâche. Aussi impressionnante soit la performance d’un Président répondant à des dizaines de questions sur tous les sujets possibles pendant 7 heures dans un gymnase de la Drôme, rien n’est à attendre d’un tel exercice à part quelques points éphémères dans un prochain sondage. Plutôt que de se cacher derrière le voile de la complexité parfaitement retranscrite dans cette sentence que j’ai souvent entendue « tu sais, c’est beaucoup plus compliqué que tu crois », la politique et ceux qui la font, gagneraient à s’inspirer de ce qui guide les entreprises et les entrepreneurs, c’est à dire la recherche permanente de la meilleure équipe au service d’une exécution simple, lisible et mesurable.
Il arrive que l’Histoire nous envoie des avertissements et c’est précisément ce qu’elle est en train de faire pour peu que nous sachions la lire avec le recul qui permet de déduire des diagnostics plutôt que des slogans. Ainsi, si nous n’en tirons pas les véritables conséquences, l’Histoire nous rattrapera très vite et nous constaterons alors que ce qui s’est passé pendant ces soixante jours a posé les bases d’un affrontement qui dépassera celui qui se cantonne aujourd’hui à quelques avenues les samedis de 16h à 18h. Ce qui se joue devant nous c’est la capacité à redonner un sens à la République telle que nous l’avons construite au fil des deux cent dernières années et de trouver en son sein les nouveaux équilibres nécessaires à la vie en société. Cette révolution peut être pacifique dès lors que nous saurons agir pour donner assez de place à la Fraternité, et afin qu’elle accomplisse à son tour sa véritable mission, « réconcilier l’égalité et la liberté ».
Bravo encore une fois pour vos réflexions précises et bien expliquées, que je me permets d’envoyer à mes amis
Tout est juste dans ce raisonnement, sauf que ce PR n’est pas en situation de changer une ligne au programme de ses mandants.
merci pour vos analyses de bon sens et clairement exprimée. ..
Cohérente et lisible. Merci pour votre analyse
Je partage en tout point la clairvoyance de votre analyse, merci