Confronté à une éruption sociale inattendue, le Président de la République a choisi de descendre dans l’arène, au contact, et de répondre, question après question, critique après critique, heure après heure, gymnase après gymnase, aux maires, aux infirmières, aux ouvriers, aux chômeurs, aux artisans, aux citoyens, avec ou sans gilet… et finalement il l’a fait pour corroborer ce qu’il déclarait dans le même temps lors d’un entretien accordé à un grand quotidien français: « La vie des gens, c’est un sujet présidentiel. »
C’est vrai et ce devrait effectivement être ce qui dicte chaque minute d’un mandat présidentiel, améliorer la vie des gens, de tous les gens, où qu’ils vivent, quelles que soient leurs aspirations, leurs ambitions, quels que soient leurs parcours. En effet, quoi de plus noble, quoi de plus utile, quoi de plus satisfaisant que d’améliorer la vie des gens, de leur apporter de l’écoute, des explications, de l’attention, des perspectives et bien sûr, des solutions. Alors, un Président de la République qui fait le tour des salles des fêtes de France et de Navarre pour écouter, répondre, expliquer, entendre, prendre soin, prendre acte, prendre commande même, quelle bouffée d’oxygène ! D’abord pour ceux qui ont accès à ces salles, pour ceux qui suivent ces échanges à la télé, pour ceux qui l’accompagnent et qui retrouvent l’animal politique qui a renversé la table d’une campagne présidentielle hors normes, et finalement quel plaisir pour lui de quitter les salons décatis de l’Élysée pour retrouver le contact avec le peuple, avec ceux qui ont soif de dire, de contredire, de comprendre, de retrouver du sens, puis d’applaudir, forcément… A part les opposants politiques, arqueboutés sur l’opposition, personne ne se plaindra de voir un Président de la République aller au contact de ses concitoyens. Les accusations de « campagne électorale déguisée » ne tiennent pas. Faire de la politique, c’est user en permanence de la verse et de la controverse pour convaincre l’autre que ce soit pendant les campagnes électorales à proprement parler ou en dehors.
Mais voilà, nous sommes 67 millions, nous sommes partout, nous sommes complexes, nous sommes multiples, nous sommes assoiffés de justice, de réussite, de savoir, de comprendre, de débattre… alors, 1 Président pour 67 millions de Français… la tournée va être interminable.
Et puis, si on se donne la peine de prendre un peu de recul et que l’on regarde la diversité des problématiques, la complexité des interactions et la multitude des solutions, on comprend assez vite que la parole présidentielle n’est qu’un facteur parmi beaucoup d’autres et que l’équation dans laquelle elle s’inscrit est impossible à résoudre si chacun ne fait pas sa part, à la place où il est le plus utile.
Dès lors, la question se pose, « où se décide la vie des gens ? » Où se trouvent les explications, les outils, les méthodes et finalement les solutions ? Dans ce monde globalisé, il apparait de plus en plus clairement que si les solutions à nos problèmes se trouvent sur les territoires, là où l’exécution des politiques publiques peut faire la différence, les barrières et les impulsions, elles, viennent de plus loin, voire même de très loin, de Bruxelles, de Pékin, de Washington, de Moscou, de Lagos ou de San Francisco.
Convaincre chaque citoyen est probablement un exercice valorisant et précieux dans la bataille pour l’opinion, mais c’est aussi un exercice bien dérisoire. La force de conviction d’Emmanuel Macron, aussi impressionnante soit-elle, n’est véritablement utile que lorsqu’elle permet de faire bouger les lignes d’un modèle gigantesque par sa taille et sa complexité, c’est à dire plutôt à Washington qu’à Bourg-de-péage, à Pékin qu’à Souillac ou à Bruxelles qu’à Courcouronnes. Il existe des dizaines de ministres, à commencer par le premier d’entre eux, et des centaines de députés, qui peuvent parcourir la France à la rencontre des participants au Grand Débat National. C’est leur place, sans aucun doute, et c’est à eux que revient de faire le travail d’écoute, d’explication et de synthèse. C’est aussi et surtout aux citoyens de débattre entre eux, sans intermédiaires, sans représentants, sans filtres, sans caméras, sans micros, et de retrouver le ciment qui fait un peuple, c’est à dire sa soif de trouver ce qui unit plutôt que de nourrir ce qui divise. Voilà ce que doit être le Grand Débat, un exercice de dialogue entre citoyens, d’écoute, d’empathie et finalement de réconciliation car nous sentons bien que les camps qui vivaient côte à côte, commencent à se regarder de travers avant de se poster face à face.
À son niveau, la valeur ajoutée d’un Président de la République se trouve là où se prépare la vie des gens, c’est à dire à la commission européenne pour harmoniser les pratiques anti-concurrentielles entre partenaires de l’Union, dans le bureau de la Chancelière Allemande afin de se coordonner plutôt que de défiler en ordre dispersé dans le Bureau Ovale, dans la salle de négociation du Mercosur pour éviter de payer en importations de steaks sud-américains les voitures que nous leur vendons, autour de la table du G7 (dont la France a pris la Présidence depuis le 1er janvier), dans le bureau de Xi Jinping, dans le bureau du Président de la Réserve Fédérale Américaine, à Davos (n’en déplaise aux chasseurs de patrons), à la Banque Centrale Européenne, au siège du FMI, à l’Onu, au siège de l’Otan, bref partout là où le pouvoir hypertrophié et hyper-concentré décide de ce qui va finalement influencer la qualité de la viande dans la boucherie de Montargis, le salaire du chauffeur-livreur de Bourges, le prix du litre d’essence à Agen, le taux du crédit immobilier à la Caisse d’Épargne de Solliès-Pont, mais aussi la régulation des fausses informations sur les plateformes sociales, la fiscalité sur les Gafa, l’écart d’imposition entre la France et l’Irlande ou de charges sociales entre Metz et Poznan. Il n’existe aucune porte de sortie à la mondialisation, si ce n’est la capacité que nous aurons, en tant que Français mais surtout en tant qu’Européens d’y faire valoir nos valeurs et nos modèles, d’y faire respecter nos règles et nos décisions. Voilà le projet que doit porter la parole présidentielle: Une France forte et indépendante au milieu d’une Europe forte et indépendante. Tache immense, vitale et historique.
La crise des Gilets Jaunes est un signal d’alarme. Il ne s’agit pas d’être pour ou d’être contre, il s’agit de l’entendre et d’en tirer les conséquences. La première d’entre elles consiste à chercher à reprendre en main le destin d’un pays trop souvent bringuebalé au gré des vents mondiaux car c’est bien de l’inefficacité des politiques publiques nationales conjuguée au poids croissant des décisions supranationales que nait l’incompréhension dont se nourrissent la défiance, la colère puis la violence des peuples. Dès lors, préserver notre marge de manœuvre, c’est à dire notre indépendance, voilà ce que seul un Président de la République peut et doit s’attacher à faire et c’est peut-être parce que cette tâche-là est particulièrement difficile que le pouvoir que lui confère le suffrage universel direct est exorbitant.
Je comprends la fascination des médias et de nombreux citoyens pour l’exercice du dialogue direct avec un Président de la République, je comprends l’intérêt démocratique, politique et aussi « sondagier », mais au delà de l’effet immédiat et réconfortant de ces shoots pédagogiques, rappelons-nous comme le disent si bien les Chinois que « Parler ne fait pas cuire le riz » et qu’aussi sympathique et peut-être nécessaire que soit le dialogue entre un Président de la République et un jeune chaudronnier dans un gymnase de Saône-et-Loire, l’avenir de ce jeune chaudronnier dépend moins de cet instant que de l’action dont sera capable la France lors des prochaines négociations de l’OMC. C’est là que la parole présidentielle doit porter haut et fort la défense de nos intérêts et c’est là qu’elle permet, vraiment, d’améliorer la vie des gens.
Crédit Photo: Christophe Petit Tesson
Oui! Je partage votre analyse ,votre réflexion.Globalement,les gilets jaunes semblent loin de cette pensée…je ma demande comment on peut amener cette réflexion dans les rencontres ,les débats , j’ai peur d’une confrontation,…..merci monsieur Alberti…
Excellente analyse comme toujours.
Cependant pour que la vie des gens soit meilleure, il faut aussi que les gens acceptent de s’éduquer, de se cultiver, de tendre la main, d’ouvrir leurs bras, de transmettre leur savoir, bref de devenir des citoyens responsables.