C’était une de ces journées en pente douce qui pointe immanquablement vers 20h00. C’est à cette heure que le Président de la République devait parler pour annoncer les mesures nées du Grand Débat National. Depuis la veille, les chaines d’infos tournaient déjà en boucle, pour deviner, deviser, commenter, disséquer et organiser d’ores et déjà la controverse à propos de ce que l’on ignorait et sur quoi le Président n’a finalement pas levé lui-même le voile… et pour cause, à 19h00, tous les yeux se sont tournés, non vers le Palais de l’Elysée, mais vers la cathédrale Notre-Dame de Paris, vers sa charpente enflammée, et tout s’est arrêté. Le Président s’est tu, les regards se sont figés, et tous ont convergé vers la flèche, tendue vers le ciel de cette fin de journée de printemps, cette flèche enflammée, vibrante et rouge, comme furieuse.
Tout s’est arrêté donc et nous avons assisté à une catastrophe presque silencieuse, le coeur serré, les larmes aux yeux, la bouche bée, touché par le deuil d’un drame sans victimes. Au fur et à mesure que la nuit gagnait, nous avons regardé Notre-Dame rougir pour n’être plus qu’ombre d’elle même au milieu d’une nuit sans étoile mais heureusement sans morts. Mais alors, qu’est-ce qui peut nous affecter ainsi ?
Bien au delà de la cathédrale catholique, église paroissiale royale du Moyen-Âge, Notre-Dame c’est 850 ans de l’Histoire de France, de Saint Louis y déposant la couronne d’épines au sacre de Napoléon, du magnificat de la libération de Paris aux balles qui sifflaient sur son parvis au dessus du képi du Général de Gaulle, des funérailles de Joffre à celles de Foch, de celles de Barrès à celles de Claudel. Notre-Dame c’est la concentration du génie français, celui des savoir-faire, celui qui permit de concentrer en un même lieu autant de maitrise que de trésors inestimables, qu’ils soient architecturaux, religieux ou artistiques. Notre-Dame c’est l’image de notre civilisation, de celle qui a fondé la France, une partie de l’Europe et la quasi totalité de l’Occident moderne, c’est aussi et surtout le témoignage vivant, réel de la permanence de notre culture.
Quelques heures après l’incendie, le choix nous est offert de regarder ce qu’il s’est passé ce lundi comme une blessure à cicatriser le plus rapidement possible ou comme une plaie à explorer pour en tirer les enseignements qui dépassent très largement le bilan matériel, car l’émotion qui s’est emparée de beaucoup d’entre nous, en France et dans le monde démontre que c’est au coeur que nous avons été touchés et pointe d’un côté la fragilité de la puissance, la paix et la liberté que nous prenons pour acquises et de l’autre la réalité d’un socle de civilisation qui se fissure sous nos pieds.
Ce que nous avons vu brûler ce lundi, c’est évidemment plus qu’un édifice parisien, plus qu’une église catholique, plus qu’un temple, plus que le titre d’un roman illustre, ce que nous avons vu brûler ce lundi 15 avril, c’est une partie de nous, de notre Histoire, de notre identité, et surtout cette certitude que nous sommes éternels, que notre identité, que notre culture, que notre civilisation, que notre peuple, le sont.
Ce qui nous est apparu en voyant brûler cette charpente presque millénaire, c’est notre propre vulnérabilité, ce qui est tombé avec la flèche enflammée c’est l’idée que nous nous faisons de notre permanence et ce qui est parti en fumée ce soir-là c’est une certaine innocence et sûrement une arrogance certaine.
Mais comment pouvions-nous imaginer que la charpente de Notre-Dame, solidement ancrée depuis 1220, née d’une forêt de 1300 chênes et assemblée par des bataillons de compagnons experts et minutieux, puisse disparaitre, réduite en cendres, après deux heures d’incendie.
C’est pourtant ainsi et il est acquis que ce que nous avons perdu cette nuit ne sera pas retrouvé. Il serait d’ailleurs vain de le chercher. En revanche, il ne tient qu’à nous de regarder cet évènement en face et d’essayer d’y lire ce qu’il peut bien vouloir nous dire, en tant que peuple, en tant que culture, en tant que société, et d’en tirer les enseignements nécessaires, et d’abord celui de l’humilité, celui de la cohésion et celui de la consolidation permanente de notre édifice et des valeurs qui forment sa charpente.
Nous reconstruirons la charpente de la cathédrale Notre-Dame, avec d’autres chênes, d’autres compagnons et d’autres outils, c’est certain, puissions-nous accomplir ceci, non comme un édifice de plus, non comme le signe de notre supériorité, non comme le défi d’une vulgaire course contre la montre, mais comme le symbole de ce que nous sommes en tant que peuple, divers mais uni, vaste mais fraternel, complexe mais solide.
Quand cette charpente sera ainsi posée sur la cathédrale et quelle la défendra des agressions extérieures, alors viendra le temps de dresser une nouvelle flèche, une flèche fière mais cependant consciente de sa fragilité et qui pointera peut-être de nouveau, haute, l’ambition fraternelle et humaniste, de notre nation singulière.
Un plaisir,fluide,à vous lire.Merci.
Merci 🙏🏻
Merci de ce texte issu de votre intelligence de coeur et d’esprit
Ouah ce texte est émouvant ! A la fois bouleversant mais riche d’un enseignement plein de sagesse. Bravo pour cette leçon d’humilité !
Merci pour ces mots…comme une douce compresse sur nos maux…
Vous aviez évoqué un jour cet imperceptible instant où une société bascule sans même s’en apercevoir dans l’innomable. Là il s’agit d’une chûte spectaculaire, suivie par tous mais ne signifie-t-elle pas que nous avons basculés avec elle dans un aprés dont nous ignorons encore tout?
C’est une sensation que je partage… nous sommes probablement entre deux mondes…
Merci beaucoup oui dans un deuxième temps après le choc c’est le temps de la réflexion et rien n’est acquis en effet … et si Notre Dame est témoin de tant d’Histoire et d’Humanite en France … y voyez vous aussi une dimension spirituelle ?
Voici une prière que j’ai reçue hier :
LAISSEZ MOI BRÛLER!
Un cri de Notre Dame de Paris
Laissez moi brûler!
Car je ne veux plus continuer
Comme un chef d’œuvre,
Comme un monument admirable,
Ni Comme un patrimoine national ;
Ni un plus-visité sanctuaire
Car depuis mon existence
Je rêvais de rester à jamais
Un refuge de ce qu’on appelle ‘prière’
Laissez moi brûler!
Car j’attendais depuis longtemps
Cette chaleur face à la tiédeur,
Face à la froideur.
Laissez moi brûler!
Ce n’est pas votre crime
C’est mon choix
Comme je me sens dépaysée
Par l’absence de l’amour,
Par la sécheresse de la foi.
Laissez moi brûler!
Car quelque fois
La douleur et le chagrin
Font guérir l’indifférence
Donc j’accepte ce destin.
Laissez moi brûler!
Car je ne vois de ce monde
Qu’un sombre cimetière
et j’ai besoin de feu ardent
Pour y mettre
Un peu de lumière.
George Onsy@copyright2019
Un superbe texte
Très beau texte, comme d’habitude cher Xavier. Ce que dit cette flèche que l’on perd, et qui émeut tellement (j’étais juste devant ND lorsque l’incendie s’est déclaré), c’est aussi peut-être notre difficulté actuelle à accepter la perte, le deuil, comme une part inhérente à nos vies et nos civilisations.