Ce mal français

Les Français ont la passion de la discussion, voire de la controverse et le dernier acte du grand débat national nous en donne une nouvelle illustration. Pourtant, aussi passionnantes que puissent être les annonces présidentielles et les réfutations de ses oppositions, le vrai sujet ne se situe vraisemblablement plus ici, car si nous traversons une crise politique profonde, elle trouve d’abord ses origines, non dans le manque d’idées, de projets ou d’annonces, mais dans ce mal bien français qu’est l’absence de méthode et d’efficacité lorsqu’il s’agit de les mettre en œuvre. 

Le populisme ne tombe pas du ciel éthéré, il est la conséquence d’une conjonction de faillites économiques, politiques, sociales qui semblent toutes trouver leur origine dans l’incompétence, voire la malhonnêteté des dirigeants politiques. Il serait donc établi que nous sommes perpétuellement gouvernés par des incapables ou des bandits. C’est évidemment faux, tant nombre de celles et ceux qui se sont succédés à la tête des plus hautes fonctions depuis 50 ans sont évidemment de bons, voire d’excellents techniciens de leur matière, instruits, intelligents et souvent – au départ – pétris de bonnes intentions. Pourtant, il existe un point commun entre la plupart des politiques publiques, et qui transcende les idéologies, les programmes et les promesses : l’inefficacité de leur exécution et l’incapacité à expliquer ce qui a été exécuté. Or, c’est probablement un des axes majeurs pour réhabiliter la politique que de doter nos organes centraux, nos établissements publics et nos collectivités territoriales, d’une véritable culture de la bonne exécution.

Par ailleurs, la France est un pays d’excellence dès qu’il s’agit de faire et elle le prouve par le niveau qu’ont atteint de nombreux acteurs de notre tissu d’entreprises, qu’elles soient grandes, moyennes ou petites. L’aéronautique, le nucléaire, l’automobile, la viticulture, l’habillement, la maroquinerie, l’architecture, l’agronomie, la construction, la médecine, la cosmétique, la cuisine, sont autant d’exemples des savoir-faire français et de l’expertise qui est la nôtre lorsqu’il s’agit de garantir une exécution sans faille.

Bien sûr, au préalable, des esprits ont dessiné, pensé, esquissé, écrit, décrit, architecturé, structuré, cherché, recherché, formulé. Pourtant, beaucoup de chefs d’entreprises vous le diront, il n’existe pas de bonnes idées, il n’existe que des exécutions parfaites, et à choisir je préfère une idée médiocre bien exécutée à la mauvaise exécution d’une idée géniale. Au final, il en restera un bien meilleur résultat.

Évidemment, le principe n’est pas de négliger la pensée au profit de l’exécution mais bien de ne pas croire que l’idée fait tout, mais au contraire que sans décision et sans exécution, une idée n’est qu’une mélodie qui ne rencontrerait jamais aucun instrument. C’est ainsi qu’il faut, en politique comme ailleurs, maitriser son exécution si l’on souhaite que ses idées puissent produire un résultat et trouver un écho lorsqu’il s’agit en particulier de changer la vie des gens.

Mais voilà, en politique, il semble souvent que l’annonce suffise à produire les effets escomptés, que le soin ne soit apporté qu’à la communication préalable, et que l’aboutissement se trouve dans ce qui crée l’évènement, c’est-à-dire l’initiation du projet, plutôt que dans l’aboutissement du projet initié. Et pourtant, à rebours de toute cette logique qui fonde la primauté de l’annonce sur celle de l’action, il faut graver dans le marbre de l’action publique que « dire » c’est simplement promettre, alors que gouverner c’est accomplir.

Malheureusement, la communication permanente, la dispersion des énergies, l’absence de vision partagée, le manque de pilotage de chaque projet et l’extraordinaire inertie de l’appareil administratif, digèrent les décisions politiques pour nous servir, mandature après législature, le même bouillon tiède, inodore, incolore, et dont la seule vertu réside dans le fait qu’il s’avale vite et que s’il ne fait pas de bien, parfois il ne fait pas trop de mal.

Pire encore, au fil de cette exécution souvent chaotique, parfois pressée, toujours chahutée, chacun perd le fil et la vision de départ qui devrait pourtant présider à chaque décision, chaque plan d’action, chaque objectif, si bien que le projet global s’efface peu à peu pour finalement disparaître jusqu’au terme du mandat en question et jusqu’à ce moment où lors du bilan, chacun constate que – forcément – le compte n’y est pas. Comment d’ailleurs pourrait-il y être lorsque l’énergie est déplacée et dépensée à se battre souvent en interne, souvent contre sa propre administration, contre sa propre majorité, contre les divergences molles, contre les intérêts cachés.

Pour éviter ces dérives, il faudrait commencer par le commencement, c’est à dire non par répondre à la question de l’objectif, mais toujours poser en premier lieu les éléments qui fondent la vision globale, que ce soit pour un pays, pour une entreprise ou pour une filière. Ce qui dessine le geste, ce n’est pas ce que l’on fait, ni même comment on le fait, mais bien pourquoi on le fait. C’est ce que l’on appelle souvent en entreprise, « la vocation », ou ce que depuis peu la loi Pacte désigne par « la raison d’être ».

Ces questions peuvent paraitre symboliques, mais elles ne le sont pas, bien au contraire, car elles portent en elles et dans les réponses qu’elles impliquent, le fondement d’une stratégie politique. En effet, définir la vocation d’une entreprise ou d’une politique gouvernementale, permet de détourer les valeurs qui la soutiennent, ces mêmes valeurs qui permettent ensuite d’encadrer l’ambition que l’on se fixe, la stratégie qu’elle induit, les plans d’actions qui la nourrissent et enfin l’organisation nécessaire pour servir cet ensemble.

Cette chaine cinématique est essentielle pour fixer le process intégral qui mènera l’entreprise – qu’elle soit commerciale ou politique – de sa vocation à la réalisation concrète de son ambition sans jamais trahir ses valeurs. C’est de la solidité de cette démarche et de son respect que l’on tire une communication puissante, non par son niveau sonore, mais parce qu’elle traduit sincèrement la mise en place d’une action lisible par tous.

Ensuite il faut savoir partager cette vocation, ses valeurs, son ambition et la stratégie qui en découle, car sans une équipe pour servir cette ambition, rien ne se passe, aussi certainement qu’une vision non partagée est une hallucination.
Savoir partager une vision pour la transformer en action nécessite de le faire souvent, tout au long de l’exécution, afin de remettre en permanence chacun en face du cap qui a été fixé en début de mandat. Sans cela, les divergences lentes, les accommodements raisonnables, les compromis bancales, bref les arrangements induits par les processus de conflits et de coopérations, altèrent la trajectoire jusqu’à la rendre illisible, jusqu’à faire de la dérive un cap à part entière.

Il semble évident que l’organisation de l’action publique telle qu’elle est définie par notre structuration gouvernementale est obsolète et ne permet pas de délivrer des plans d’action cohérents et efficaces. Par ailleurs, les temporalités politiques et administratives sont aujourd’hui beaucoup trop déphasées pour permettre de retrouver dans la vie quotidienne des Français les réformes promises par le politique. Ainsi, la cohabitation entre un Ministre dont la fonction est à durée particulièrement déterminée et les directions d’administrations centrales qui ne le sont bigrement pas, entraine un déséquilibre particulièrement néfaste à l’impulsion politique.

En fait, c’est toute la structure ministérielle et interministérielle qui dysfonctionne plus ou moins au gré du talent et de l’implication de tel ou tel ministre et qui dissout dans le temps et les méandres des process décisionnels centraux, le projet politique initialement décrit et promis.  Mais nous savons cela, et depuis longtemps, il suffit de relire « Le mal français » d’Alain Peyrefitte, paru en… 1976 ! 40 ans plus tard, le mal français est toujours là, persistant, résistant, intact.
Mais voilà, dès lors que le poisson pourrit toujours par la tête, comment changer d’état d’esprit ? Par une impulsion politique inédite et puissante qui permettra de redéfinir les contours de la haute fonction publique, ses missions, ses contraintes ainsi que les organisations ministérielles susceptibles de délivrer des visions claires et des exécutions efficaces. La généralisation d’un « spoil system » à la française est indispensable si nous voulons pouvoir donner à un ministre la possibilité de déployer la politique pour laquelle il a été nommé, en lui adjoignant une hiérarchie administrative qui fonctionne en synergie et non par antagonisme.
Par ailleurs, à force de nommer comme ministres des professionnels de la politique, spécialistes du train de sénateur mais amateurs dès qu’il s’agit de la conduite de projet et du management d’équipe, les Ministères fonctionnent en silos, sans cohésion, sans cohérence et finalement sans résultats.
Contrairement au modèle enfanté par 40 ans d’opportunisme politique, bien diriger un ministère nécessite beaucoup plus de qualités organisationnelles et managériales que de qualités politiques et il y a fort à parier que c’est dans la capacité à partager une vision avec son équipe ministérielle et à assurer une exécution minutieuse et appliquée, plus que dans le talent à s’emparer du premier micro venu ou dans la gymnastique quotidienne de la petite phrase clientéliste, que se trouvent réunies les conditions de la véritable action politique.

Un État, un gouvernement, une région, une mairie, ne se dirigent pas comme une entreprise car la politique est soumise à des postulats qui échappent au rationnel entrepreneurial, cependant, l’action politique, celle qui consiste – non pas à être élu – mais à mettre en œuvre un programme, devrait s’inspirer des méthodes qui ont fait leurs preuves et qui permettent de transformer une idée en objet, une promesse en action et une vocation en progrès. C’est un des défis que nous devons relever si nous voulons éviter qu’un jour pas si lointain, à force de théorie et de si peu de pratique, le modèle français ne se retrouve que dans les livres d’Histoire.

 

 

Illustration: Dessin de Carlos Alejandro Chang Falco, dit Falco
Illustrateur et dessinateur de presse, il travaille actuellement pour le journal Juventud Rebelde.
Ses dessins ont également été publiés dans Courrier International, le magazine cubain The Jiribillaet le journal satirique Palante. Il a participé à diverses expositions à Cuba et à l’étranger.

Une réflexion sur “Ce mal français

  1. En effet, il y a, chez nos dirigeants et nos citoyens également, dispersion permanente, précipitation, réaction immédiate et communication brouillon.
    Il y a aussi, beaucoup trop, un grand manque de vraie écoute, d’écoute pour comprendre et apprendre.
    Il y a beaucoup de jeu de manches, de bons mots ou de belles phrases, de déclarations et d’exclamations.
    La France a toujours aimé s’écouter parler, clamer, pontifier.
    C’est grand dommage car il y a, à sa base, dans toutes les communes et les associations de citoyens et de décideurs, des gens qui savent faire.
    Ils savent observer, écouter, organiser, prévoir, finir le boulot, et le suivre jusqu’à accomplissement. Ils savent corriger, analyser pour rectifier.
    Alors est-ce « l’air du temps »? Est-ce une mode qui dure un peu trop depuis quelques décennies?
    En tout cas, le pragmatisme n’a jamais été le point fort des extravertis, y-en-aurait il trop en position de pouvoir? Faudrait-il un quota d’introvertis? Je plaisante à peine…ils calmeraient toute cette agitation et apporteraient un peu de réflexion.

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