La marche contre l’islamophobie qui s’est déroulée à Paris le dimanche 10 novembre 2019 n’est pas un succès pour ses organisateurs car elle aura finalement peu rassemblé au regard du nombre de Français de confession musulmane. Pourtant, cette manifestation n’est pas une marche de plus car elle restera probablement comme la première manifestation démocratique d’un courant politique de l’Islam en France. Manifester est un droit inaliénable et cette manifestation – qu’elle plaise ou pas – a respecté ce droit en s’acquittant de ses devoirs. Ni heurts, ni débordements. Par ailleurs, je suis certain qu’au cœur de ce cortège défilaient des femmes et des hommes libres, citoyens, républicains et démocrates. Je suis également convaincu que ceux-là défilaient pour exprimer leur sincère et légitime ras-le-bol après des semaines d’attaques directes et violentes contre les musulmans et non plus seulement contre l’islamisme. De commentateurs débridés en éditorialistes zélés, de sénateurs forcenés en présentateurs cinglés, la parole libérée a offert ce qu’elle fait de pire, la caricature, l’amalgame, les accusations gratuites, les dénonciations scabreuses… bref le pire du soupçon généralisé, ce soupçon qui a surgi après l’attentat de la préfecture de Paris et qui traque non plus l’islamiste derrière le musulman mais le musulman derrière le citoyen.
Mais voilà, au centre de ce cortège du dimanche 10 novembre se trouvaient également ceux qui bâtissent leur ascension et celle de leur idéologie en s’appuyant sur un communautarisme identitaire et religieux contre la République et sa nécessaire cohésion. Cachés derrière les statuts de banales associations culturelles ou les murs de mosquées transformées en centres d’endoctrinement, ceux qui nourrissent un destin pour l’islamisme en France et partout ailleurs dans le monde sont au travail et tiraient les ficelles d’une partie de ce cortège.
Enfin, quelques politiciens, champions de la récupération, étaient venus avec leur filet de pêcheur, en se souvenant que les musulmans représentent également quelques millions de voix et qu’il serait trop dommage de ne pas en profiter, quitte à piétiner leurs principes pour lancer le filet plus loin et ramener plus large.
J’ai suivi cette manifestation comme un spectateur inquiet, un œil sur l’évènement, un œil sur son commentaire médiatique et social. Spectacle édifiant. Un jeu de massacre entre pro et anti, entre tenants de « la manif de la honte » d’un côté et ceux de la dénonciation des fachos de l’autre, entre les indignes étoiles jaunes ici et les cris imbéciles de « sales collabos » là-bas, chacun dégommant l’autre à coup d’arguments aussi excessifs que souvent fallacieux… caricature contre caricature, mauvaise foi contre mauvaise foi, haine contre haine.
Dans un monde où il faut toujours se demander à qui profite la situation, j’ai imaginé, assis côte à côte, dans le même contentement, les vrais islamistes et les faux patriotes, bras dessus bras dessous, se frotter les mains en riant bien de ce que cet après-midi de fragmentation annonçait de bon et profitable pour leur fond de commerce respectif.
7 ans après les attaques de Toulouse et de Montauban, le plan de division et d’opposition des Français autour de la question de l’Islam et de sa place dans notre société, est plus que jamais d’actualité et il commence à porter ses fruits empoisonnés: la radicalité de plus en plus marquée des opinions contradictoires, la caricature de l’autre, l’antagonisme permanent et ses manifestations parfois violentes et surtout la mise au centre du débat, d’opinions que l’on qualifiait d’extrêmes il y a encore peu.
Pire encore, certains n’hésitent plus à faire dire n’importe quoi à la laïcité, la confondant avec le laïcisme ou même l’athéisme quand ils refusent à certains le droit de vivre leur foi librement, pendant qu’à l’opposé, d’autres voient dans la liberté qu’elle procure la possibilité de soumettre les femmes ou de s’extraire des lois de la République.
Lentement mais sûrement, la haine ressassée contre l’étranger et sa culture importée désigne de plus en plus l’ennemi, non plus dans sa dimension circonscrite « le terroriste islamiste », mais dans une taxinomie de plus en plus large et de plus en plus autorisée, « le musulman ».
Lentement mais sûrement, dans un mouvement parallèle, la haine de la France et de son triptyque trouve de plus en plus d’écho dans les souterrains lugubres d’une religion détournée où sont préparés les lâches martyres de demain.
Deux haines, deux violences, deux suprématies fantasmées qui se nourrissent l’une l’autre dans une spirale mortifère.
Au milieu, la République compte les points d’un affrontement dont elle est la première victime et où il n’y aura que des perdants. Sur ce sujet comme sur d’autres, nous avons perdu le contrôle en même temps que l’équilibre et je n’entends quasiment plus aucune voix pour rappeler les fondamentaux d’une démocratie où la liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas aux autres et le principe d’une République qui chérit et protège tous ses enfants sans distinction de manière à leur permettre de vivre ensemble.
Ceux qui hurlent et invectivent aux deux extrémités de la table incarnent les bornes d’un espace qu’ils voudraient transformer en champ de bataille pour donner raison à leur colère et finalement à leur dessein dominateur; pourtant à cette table, il reste une place à prendre et une voix à faire entendre, celle de la mesure face à l’hystérie, celle de la force de la loi contre ceux qui défient la République, celle de la tempérance et de la justice face aux fanatismes, celle d’un pays sûr de lui et qui ne tremble pas devant son ombre, celle d’une République qui refusera toujours tout aux communautaristes mais qui ne les confondra jamais avec les citoyens loyaux qui veulent simplement vivre leur foi; à ceux-là, la France promet la liberté, l’égalité et la fraternité… tant que nous serons capables de tenir cette promesse.
Enfin !!! une analyse que j’approuve à 100% . Un sentiment de profonde solitude commençait à m’envahir. Votre intitulé « Jeu de massacre » est tristement d’une justesse implacable. Avec l’espoir que les échanges à venir prennent enfin de la hauteur comme le fait si bien votre article . Je ne peux écrire qu’un seul mot: Merci !
Merci de votre lecture et de notre message.
« …j’ai imaginé, assis côte à côte, dans le même contentement, les vrais islamistes et les faux patriotes, bras dessus bras dessous, se frotter les mains en riant bien de ce que cet après-midi de fragmentation annonçait de bon et profitable pour leur fond de commerce respectif. »
Ceux-là sont de la même veine en effet, des opportunistes plus que des idéologues, parfois les deux.
En tout cas rien de bon pour la paix et la tolérance qui permet à un pays de grandir et d’ évoluer sereinement.
Mais ce n’est pas la première fois que la France est confrontée aux jeux de massacre.
Elle a ses soubresauts, mais tant qu’il y aura des citoyen-ne-s en éveil, prêt-e-s à prendre la parole, comme vous le faîtes, pour dénoncer les manipulations et les abus de tous bords, la République fera le reste.
Les forces extérieures sont elles aussi à exposer et dénoncer, car derrière ces mouvements de bigots utiles, il y a beaucoup d’intérêts financiers.
Les institutions de la Rebublique auront besoin d’investigateurs indépendants pour les aider.
Tres bel article, Bravo.
Cet article dit tout ce qu’il faut dire. Que peut-on faire pour aider la République ? Je me demande si une mobilisation républicaine et laïque ( toutes les religions sont libres d’être pratiquées dans la sphère du privé) ne serait pas nécessaire, si nous non musulmans ne devrions pas aider tous et surtout toutes celles qui appellent à lutter contre la radicalisation à gagner ce combat ?