Une idée derrière la dette

Il existe désormais en France un ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance… Oui, la relance, car après plus de trois mois d’arrêt quasi-total de notre économie et à l’aube d’une crise profonde, il faut trouver les moyens de relancer une dynamique économique.

Ce serait pourtant une erreur grave et peut-être même une faute historique de se contenter de relancer l’économie sans la transformer, de s’acharner à relancer la croissance sans lui donner une utilité sociale, de s’époumoner à relancer la consommation sans lui assigner une responsabilité environnementale.

« Oui mais voilà mon bon monsieur », sans relance pas de croissance, sans croissance pas d’emplois et sans emplois, c’est tout notre modèle qui s’effondre sur lui-même. Et puis il y a cette dette, ce colossal boulet qui a tellement grossi qu’il masque tout, qu’il écrase tout, qu’il empêche tout, à commencer par l’imagination, la créativité ou l’agilité. D’ailleurs, comment être agile avec un boulet de 2000 milliards d’€ accroché au pied… « car il faudra bien rembourser mon bon monsieur ! »

Et si… et si nous nous autorisions un « et si » ? Et si au lieu de tirer cet énorme boulet comme des déments enchaînés à leurs certitudes, nous décidions de jouer avec lui, de l’utiliser, de le transformer ? Et si ce boulet était notre planche de salut ? Et si, puisque nous sommes condamnés à vivre avec lui, ce boulet devenait notre meilleur allié.

500.000 entreprises ont bénéficié d’un Prêt Garanti par l’État pour un montant total de 100 milliards d’€. Ces entreprises ont eu recours à ce dispositif pour éponger artificiellement les pertes d’exploitation engendrées par le confinement. Oui artificiellement, car en réalité on ne s’endette pas pour financer des pertes, jamais. La dette porte effectivement en elle une promesse de remboursement qui nécessite une promesse de création de valeur. Or, la valeur détruite pendant le confinement est à jamais perdue. Vouloir rembourser cette dette avec une sur-croissance, c’est relancer une course qui ne mène nulle part et c’est conduire plus lentement mais inéluctablement un grand nombre d’entreprises à la casse.

Si c’est une catastrophe naturelle qui avait paralysé notre économie pendant cent jours, nous parlerions d’indemnisation, de reconstruction, d’investissements et de transformation… pas de crédit. Mais voilà, comme le virus ne s’attaque qu’aux humains, nous pensons qu’il suffit de remettre du super-carburant dans la machine économique, d’appuyer sur le starter et de redémarrer comme avant. Pourtant, l’extraordinaire catastrophe que nous venons de vivre nous invite à une non moins extraordinaire transformation, en nous en donnant tout à la fois l’opportunité et les moyens de la réaliser.

Et si ces 100 milliards de dettes étaient un plan de relance par la transformation des entreprises qui y ont eu recours. Et si, au lieu de rembourser ces 100 milliards, nous les utilisions pour obtenir de ces 500.000 entreprises des contreparties qui permettent l’amortissement social et environnemental de cette dette ?

Et si nous décidions de transformer les PGE en obligations perpétuelles non remboursables, et que les conditions d’éligibilité à ce dispositif permettaient la transformation de notre économie par un certain nombre de contreparties:

  • Relocalisation de la production ou des approvisionnements
  • Mise en place de chaînes logistiques ou de circuits énergétiques propres
  • Exemplarité fiscale (évidemment)
  • Mise en place de l’intéressement et de la participation pour tous les salariés
  • Mise en place d’un salaire minimum bonifié
  • Maintien de l’emploi ou priorité à l’emploi des jeunes
  • etc.

Et si, pour une fois, au diapason d’une crise historique de notre modèle économique et social, nous pensions avec l’Histoire contre le modèle dominant. Il en va ainsi de la dette comme de l’utilisation que nous venons de faire du chômage partiel et qui préfigure, si nous y regardons de plus près (ou de plus haut), un nouveau modèle d’indemnisation de l’inactivité professionnelle.

Cette crise inédite est née d’un double choc de l’arrêt de la demande et de l’arrêt concomitant de l’offre. Le choc de la dette viendra inéluctablement. À nous de décider de l’utiliser plutôt que de la subir. C’est ainsi que derrière chaque menace se cache une opportunité pour peu que nous soyons prêts collectivement, à penser contre nos certitudes, nos réflexes, bref contre nous-mêmes.

4 réflexions sur “Une idée derrière la dette

  1. oui oui oui et oui ! la transformation de notre dette en force, c’est probablement la meilleure idée de ces derniers mois.
    chacun pouvant y donner un sens plutôt que le rendre aux banquiers.

  2. Excellente idée, mais qui ne résout pas à long terme le problème : la productivité actuelle rend une grande partie de ces emplois inutiles, et qu’on les relocalise en les verdissant n’est qu’un minime gain de temps. Oserai-je dire que c’est tant mieux ? Je ne me suis jamais cru fait pour bosser selon le tempo et le bon vouloir d’une machine (ah, Illich et ses outils conviviaux ! Vous savez, ceux qui sont au service de l’homme, et pas l’inverse…)
    A plus longue échéance, un revenu universel et un retour à de la micro-production locale (agriculture bio, artisanat, réparation, services de proximité…) semble la moins pire solution dans l’état actuel des connaissances… Donnez seulement 500 EUR par mois à vie à chaque jeune qui démarre, et le tissu sociétal s’en trouvera grandement changé (essayez seulement de lancer une épicerie de proximité dans votre village natal perdu de la campagne : avec un revenu de base, il y aura plein de volontaires, mais sans, c’est un suicide – mieux vaut être un prolo des mégapoles à moitié chômeur qui vivote de ce qu’il trouve : dommage, et tant pis pour la dignité !).
    Seul « souci » : la vision politique des gens évoluerait aussi, sans parler de l’aménagement du territoire et de la sociologie, et nul ne peut savoir qui en sortirait gagnant – du coup, autant ne rien changer, c’est plus sûr 😉

  3. Bonne idée, certes ! Mais c’est les contre-partie qui font font bloquer dès le premier point :

    – Relocalisation de la production ou des approvisionnements

    Si la partie production n’est pas impossible mais pas forcément voulu pour les raisons que l’on connais, la seconde est devenu partiellement impossible. Comment faire par exemple pour qu’une société de services, qui a donc toute sa main d’œuvre en local, d’acheter des puces RFID pour équiper ses cartes d’accès autre qu’en Chine ? Ce n’est qu’une bête exemple mais il y en a dans tous les métiers. Les bonnes idées et la mondialisation ne fonctionnent pas ensemble…

  4. Xavier Alberti, le plus gros mérite est d’apporter une reflexion. Maintenant, on parle bien d’entreprenariat. Si quelqu’un (gouvernement ou autre,me propose un montant jamais remboursable, pour me tenir à vie, comme n’importe quel entrepreneur je chercherais à mettre en faillite la société et retrouver ma liberté. Il y a une différence entre investir et s’installer. Un autre commentaire « il n’y a pas de croissance sans relance » A mon humble avis ce sont des voeux pieux, on peut aussi relancer en pente dscendente….et les dernières 40 années en France sont remplies de ce type d’exemple. On peut aussi aller chercher des exemples hors France, au hasard, la caisse ded épôts et placements du Québec. Veritable support pour ;es entreprises mais aussi pour le fond de retraites. Favorise les industries qui sont profitables, aussi simple que ceci. Pourquoi inventer le beurre? (même pas le fil)

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