Je me signe quand j’entre dans une église, je me déchausse quand je foule le sol d’une mosquée et je me couvre la tête quand je pénètre dans une synagogue. Puisque je ne crois pas en dieu, je ne le fais ni par crainte de sa colère, ni par espérance de sa reconnaissance, non, je ne le fais pas comme un croyant mais simplement parce qu’il ne me viendrait pas à l’esprit de faire autrement… Je le fais sans doute parce qu’on m’a appris à faire ainsi, comme on m’a appris à me lever pour saluer quelqu’un, à ne jamais poser le pain à l’envers sur la table ou à manger du poisson le vendredi. Il y a dans nos rites sociaux ou religieux, bien plus de nos familles que de nos bibles. Peu importe puisque l’essentiel du rite réside dans le lien continu qu’il tisse, dans le temps et dans l’espace, entre nous tous. Rompre le rite, c’est rompre le lien.
Peut-être le fais-je donc également en souvenir de mes grands-mères qui, elles, se signaient rien qu’en passant devant l’église ou le cimetière. Elles le faisaient autant par espérance d’un paradis céleste que par crainte d’un enfer brûlant qui les séparerait des leurs, des nôtres. C’est drôle assurément, puisque rassurés par nos contemporaines certitudes, nous avons enterré ces craintes ancestrales, en même temps que nous avons cru pouvoir nous émanciper de la plus élémentaire nécessité de nous soumettre… à l’autre, à Dieu, à la règle, à l’éthique, à la République, à la loi ou simplement à l’obligation d’être à la hauteur de nos aïeux, de nos héros ou de nos prétentions.
Je le fais enfin et surtout par respect de l’autre, pour celui qui croit, par civilité donc, celle qui nous rappelle qu’il y a des lieux séparés, des lieux que leur fonction élève, des lieux qui méritent qu’on ralentisse le pas et que l’on baisse la voix. Je le fais pour me souvenir qu’il se passe quelque-chose dans ces lieux qui appellent la réflexion et la vibration, qu’elle vienne d’en haut ou d’en bas, de l’extérieur ou de l’intérieur, qu’elle vienne de la chaire ou de l’esprit, des cieux ou de l’estrade.
De l’estrade effectivement, de cette estrade de mes classes d’école où des institutrices et des instituteurs de la République m’ont appris qu’il fallait se lever quand le professeur, le directeur ou l’inspecteur entrait dans la classe… pourquoi ? Par respect, pour marquer notre crainte, notre reconnaissance et notre acceptation de l’autorité, non pas celle qui fait écho à la violence mais celle qui naît de ce que nous imposent la compétence et la moralité. Nous nous levions parce que dans la République d’alors, l’instituteur incarnait une figure centrale, un repère qu’aucun parent n’aurait contesté; nous nous levions parce que nous craignions nos parents et que l’instituteur en était le prolongement; nous nous levions enfin, sans le savoir, parce que la verticalité marque symboliquement l’acceptation du contrat social qui nous lie et parce qu’on n’imaginerait pas les députés du tiers-état, prêter le serment du jeu de Paume, assis.
C’est ainsi que dans notre pays, comme dans de nombreuses autres démocraties, les temples, les parlements, les écoles et les tribunaux imposent de se lever pour sertir la parole de la posture qui la sépare du bavardage. Nous devrions toutes et tous vénérer tout ce qui nous permet d’ériger et consolider ces piliers de nos modèles de société plutôt que de subventionner sans cesse le soit disant libéralisme émancipateur qui a offert tous les droits à l’individu et retiré tous ses devoirs au citoyen.
Se lever, ce n’est pas abdiquer qui l’on est, au contraire, de la même manière que respecter ce n’est pas s’aplatir, ce n’est pas se renier, ce n’est pas se trahir; respecter c’est participer à l’édification du mode de vie sur lequel repose notre liberté. Respecter c’est s’élever et élever nos valeurs communes, celles qui nous font peuple, nation, République, France.
Au sommet de ce respect fondateur, se tiennent quelques vigies attentives, quelques sentinelles sacrées, quelques héros vulnérables qu’il nous revient de protéger, de défendre et de célébrer. Ils sont directeurs, proviseurs, instituteurs, professeurs… Ils enseignent au quotidien ce qui constitue un esprit libre, un esprit critique, une conscience éclairée, un citoyen. Aucune d’elles, aucun d’eux, ne devraient jouer sa vie au nom de cette mission, sauf à ce que nous soyons prêts à sacrifier nos propres vies pour eux.
Dès lors, si nous étions devenus incapables d’armer et de protéger les fantassins de la République, c’est que la République serait condamnée, car aucun édifice, aucun régime, aucune civilisation ne survit à la lâcheté ou à l’abandon de son peuple. En enseignant, les instituteurs et les professeurs remplissent une fonction vitale de la démocratie. A ce titre ils doivent pouvoir s’appuyer sur une administration solidaire, sur des prérogatives disciplinaires incontestables et sur des parents qui les écoutent et les respectent avant que d’écouter leur progéniture sacrée, leur psychologue ou leur prophète.
Samuel Paty est mort, assassiné pour avoir enseigné, pour avoir rempli la mission que lui avait confiée la société et pour laquelle nous n’avons pas été capables de le protéger. Ce n’est pas seulement effroyable, ce n’est pas seulement infâme, c’est impossible, c’est impensable. Ça ne peut être, ça ne devrait jamais advenir, sauf à ce que nous ayons abdiqué ce qui fait de nous une Nation. Soyons lucides, ce qui s’est mis en branle depuis 2012 avec les lâches attaques de Merah ne s’arrêtera pas avec l’assassinat de Samuel Paty et le flot des condamnations qu’engendre cette nouvelle attaque contre le mur porteur de notre République, sera inopérant contre un ennemi venu de l’intérieur et dont les assaillants sont indécelables. C’est une guerre, une guerre contre une conception de la société qui n’est pas la notre, une guerre cultuelle, culturelle, une guerre qui appelle les combattants à livrer toutes les batailles, avec détermination et discernement, le combat de la laïcité pleine et entière, celui de l’ordre républicain, celui de l’État de droit et celui du respect de nos principes fondamentaux, partout, et d’abord dans chaque classe d’école, publique ou privée, car tout commence là, quand l’instituteur entre dans la classe, et que les enfants se lèvent.
Encore une fois, tout est dit. Education, politesse et respect… Tout ce qu’on a laissé s’étioler au fil du temps..
Parfait! oui c’est une République du Respect qu’il faut promouvoir… Mais on peut aussi rechercher les causes réelles de cette situation parfaitement prévisible: d’abord une question: qu’avons-nous fait pour qu’il en soit autrement? et a-t-on dénoncé avec clarté et force la cause profonde de ce chaos qui s’installe? certains, auteurs de cette guerre qui s’amplifie chez nous, devraient être condamnés pour crimes contre l’humanité, qui en parle? PERSONNE.
Il y a la Nation, l’Etat et le Droit. L’état de droit devrait protéger la Nation sans faiblesse. Hélas, nos concitoyens semblent s’approprier le droit à titre individuel en négligeant leur devoir de respecter l’état dont la mission essentielle est de garantir l’unité de notre Nation.
Merci Xavier pour votre témoignage et vos propos clairs comme toujours ! J’ai partagé sur FB et Tweeter…
Très cordialement,
Francis.
Merci à vous de votre lecture et du partage
Bien sûr, je ne peux qu’être d’accord avec ce qui est dit.
Mais, que fait l’Etat et son armée de gens bien-pensants dans les bureaux le plus près du ministre pour sauver les fantassins en première ligne. Combien de ceux-ci ont été dans une classe de 30 élèves dont 15 sont des fauteurs de troubles. N’envoient-il pas au front les jeunes recrues frais émoulues de l’école dans les classes où ceux qui en ont eu la possibilité s’en sont écartés le plus vite possible. Sous la sacro-sainte pensée que l’on doit distribuer le même savoir à tous, les enseignants tentent tant bien que mal à tirer une moitié de classe, dont la seule ambition est de semer le trouble. Et si cela ne suffit pas les parents sont là pour menacer, gifler, crever les pneus afin que leur rejeton soit bien noté.
Oui, je sais cela fait très mauvais effet après un texte tourné vers la tolérance, mais j’en ai un peu mare de « tendre l’autre joue »