« Moi, c’est pas pareil »

Selon le sondage Odoxa-Backbone Consulting pour france-info et Le Figaro publié jeudi 28 janvier, « 62% des Français se déclarent favorables au confinement, mais rejettent majoritairement les mesures qu’il implique. » Il y a dans le résultat de ce sondage quelque chose qui fait bondir, qui fait sourire ou même rire, c’est vrai. Ce pourrait-être anecdotique, ce pourrait-être drôle, ce pourrait-être le symbole d’une opinion versatile ou indécise, ce pourrait-être la raison d’un dysfonctionnement de notre pays, ce pourrait-être tout ça à la fois, mais je crois que ça ne l’est pas.

Je crois qu’il y a dans cette supposée dissonance la manifestation de ce que nous sommes en tant que peuple et qui pourrait se résumer par une formule simple: « Moi c’est pas pareil. » En effet, il y a en France un réflexe, ancré en nous, et qui nous pousse à refuser d’entrer dans le groupe tout en comprenant que le groupe est nécessaire. Ce n’est pas là un snobisme divergeant ou une volonté de contradiction bête et méchante, c’est une façon de s’affirmer en tant qu’individu, non uniquement « contre » puisque l’on admet la nécessité de l’action, mais « à côté », différencié, distingué.

Cette façon d’être au monde est très française car elle fonde notre nécessité absolue de créer nos propres odes, nos propres codes, nos propres modes. Il y a dans la recherche permanente de cette singularité une part du génie français, de sa littérature, de ses arts, de sa cuisine, de son art de vivre, de s’habiller, de gouter, de commenter, de discuter.
En France l’adhésion ne se décrète jamais même quand elle est frappée du sceau du bon sens, elle se mérite par la discussion, la controverse, la dispute même, celle qui nous permet de purger ce que l’on a gardé sur le coeur et de se retrouver ensuite autour de la table, à cet endroit très précis, où chacun à sa place, nous sommes français, c’est à dire capables de déguster le même plat et le même vin, mais de ne jamais en penser la même chose.

Au fond, les Français vénèrent cette règle non écrite selon laquelle « nous sommes d’accord pour ne pas être d’accord », dans une sorte d’exaltation permanente du décalage, qui nous permet tout à la fois d’admettre ce qui est raisonnablement acceptable mais de conserver toujours ce pas de côté qui nous permet de ne pas disparaitre, dilué dans l’opinion commune, parce que « tu comprends, moi, c’est pas pareil. »

C’est ainsi, et c’est une constante dans l’Histoire de ce petit pays qui s’est toujours hissé parmi les grands à force de croire, de vivre et d’incarner un décalage et une singularité qui lui donnent aux yeux du monde une place à part. Et c’est exactement ce que nous revendiquons en permanence, une place à part. Pas forcément au dessus, puisque nous savons bien que nous ne pouvons pas raisonnablement briguer cette place-là, mais à côté, séparés, une « troisième voie » (celle de de Gaulle), entre l’Est et l’Ouest, entre le Sud et le Nord, qu’ils soient géographiques ou idéologiques. Il y a d’ailleurs une formule diplomatique pour caractériser notre politique en la matière et qui résume parfaitement cette indépendance, cette individuation nationale, « le non alignement ».

Ce trait de caractère individuel et collectif est une force si nous sommes encore capables de le regarder en face et si nous lui permettons de dessiner les contours variables d’une inspiration et d’une fertilité constantes. C’est d’ailleurs de la certitude de cette inspiration et de cette fertilité que nous tirons cette force que les « autres » appellent « arrogance » et qui se tient en fait au coeur de notre culture et de notre langue, une langue qui semble faire la leçon à ceux qui ne la parlent pas.

Il y a dans l’époque fracturée dans laquelle nous nous dé-battons et dans l’épreuve que nous traversons actuellement, la possibilité d’une réconciliation, si nous sommes capables de re-trouver ce qui nous unit. Or, il est fort probable que ce qui nous unisse le plus invariablement, soit notre capacité à « être d’accord pour ne pas être d’accord », à accepter la différence de l’autre parce que rien ne nous plait tant qu’être différent à notre tour. Mais cette perspective est évidemment impossible car pour cela, il faudrait d’abord que nous brisions la spirale du dénigrement permanent dans laquelle nous sommes entrés depuis quelques années et par laquelle le désaccord est devenu une décharge jonchée d’injures et de menaces. Il faudrait que toutes celles et tous ceux qui ont la responsabilité du pouvoir ou de l’influence donnent l’exemple de cette éthique de la controverse pour que nous retrouvions tous le goût du désaccord, le plaisir du débat, le bonheur de vivre dans un pays vibrionnant, insatisfait, frustré même, mais qui tire de cette frustration l’inspiration dont on fait la littérature, les raisins dont on fait le meilleur vin, les sauces dont on fait les meilleures assiettes, les étincelles dont fait les plus belles idées, et qui dessinent les contours d’un peuple pluriel, singulier et finalement unis autour de cette exception française… parce que « vous comprenez, Nous, c’est pas pareil. »

2 réflexions sur “« Moi, c’est pas pareil »

  1. Certes, mais avant que le coq ne retrouve sa place sur la flèche, il nous faudra admettre que nous sommes TOUS tombés de haut. Nos différences sont nos atouts, nos « régions »aussi. L’uniformité généralisée nous va aussi mal qu’un smoking à un zèbre. Les librairies ferment, plus de livres nulle part. Les plages du sud aux corps entassés interdites plus d’accès à celles qui n’ont que peu d’âmes à des kilomètres à la ronde. Nous avons tous des voisins, une mairie, un département cette proximité dans sa généralité ne fonctionne malheureusement que par clans politiques, hors le virus lui, ne fait aucune différence et pour lui: « c’est tout pareil » Avec l’espoir que nous saurons rester nous même tout en préservant notre démocratie. Merci pour vos articles qui offrent toujours matière à réflexions…..

  2. Je suis australien d’origine, devenu par francophilie, citoyen français. Ayant vécu presque 50 ans dans mon pays adoptif, j’ai fait publier dans le « Sydney Morning Herald » un article ayant pour titre « Let’s Be Frank about France » – à l’époque de la francophobie due à nos tests nucléaires, pour défendre notre … droit à la différence. L’article de Xavier Alberti, qui tape dans la mire, aurait pu avoir pour titre « Le ‘Oui, mais’ des Français ». La France, reconnue par le Général comme ingouvernable à cause de ses 400 fromages, est un pays à part, et fier de l’être. J’attends de mes lecteurs, un inévitable « Oui, mais . . . ».

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