C’est un mercredi comme les autres. Le bruit de la machine à café couvre momentanément la voix qui égrène l’information dans ma radio. Une pluie fine tombe sur les pavés de la cour, le monde est calme, c’est le matin, cet instant où tout semble plus clair, plus simple.
« Espèce de grosse connasse ! Crève ! »
Ce hurlement a surgi de la radio au moment où la machine à café s’est tue. C’est Jean-Marie Bigard qui fait parler de lui par une de ses outrances des jours passés. Ce cri de haine ne fait pas partie d’un sketch, non, il parle d’Agnès Buzyn et il ordonne donc à l’ancienne Ministre de la Santé de mourir. J’ouvre Twitter et tombe très vite sur la video de son éructation qui tourne en boucle. Il est debout sur une estrade, micro en main, dans une sorte de mini rassemblement où un petit groupe de personnes l’écoute. La vidéo a été reprise par l’émission Quotidien et ce non évènement en est devenu un, transformant son audience de quelques dizaines en une multitude.
Je commence à descendre ma Tweet Line et une autre video apparait plusieurs fois, celle d’un clash, la veille, sur le plateau de TPMP où un ancien journaliste et un médecin se hurlent dessus, « C’est vous les assassins ! Vous avez du sang sur les mains ! » L’ancien journaliste est en transe, comme possédé par son propos.
Je continue de descendre et je retombe sur le formidable Bigard qui explique, toujours en hurlant, au micro d’une autre chaine de télévision qu’il est contre le pass vaccinal, et qu’il serait plus simple « de nous coller une étoile jaune »… Il est encore tôt et pourtant toutes ces affirmations infâmes posent sur cet instant un filtre crépusculaire. Soyons clairs, l’outrance, la bêtise ou le fanatisme ne sont pas des novations de notre temps mais le fait de leur donner la parole sans aucune espèce de précaution ni de discernement est un recul désormais aussi net que dangereux.
C’est un mercredi matin, mais cela pourrait être tous les matins du monde, enfin, de ce monde-ci, car tous les matins, les vidéos des dérapages télévisuels de la veille envahissent les réseaux sociaux du jour, et tous les matins, s’engage le même processus « d’indignation – dénonciation – réplique – relativisation – distanciation », et tous les matins finalement, le dérapage de la veille a gagné un peu de terrain sur ce que nous considérions inadmissible et qui s’est mû en tolérable puisque « commentable » et consommable.
C’est ainsi que nous participons trop souvent à cette mécanique infernale. En effet, quel qu’en soit le niveau de bêtise, il est impossible de rester insensible à ces outrances, il est impossible de ne pas réagir, même en soi seulement, et il est impossible de ne pas sentir ce que cela recèle, la haine, et ce que cela va entraîner, la dénonciation et la colère. C’est une spirale destructrice. Il faut cesser d’y participer et il faut cesser de l’alimenter.
Oui, il faut impérativement éteindre ce feu-là et d’abord l’éteindre en nous, par une discipline, une ascèse ou une éthique qui doit nous ramener à la raison, non d’une haute opinion de soi, mais d’une belle opinion du monde dans lequel nous vivons et que nous devons cesser d’abêtir, d’enlaidir, d’amoindrir. Nos aïeux n’ont pas combattu le totalitarisme et affirmé la primauté de la dignité humaine pour que nous finissions par commenter de minables insultes proférées par des esprits agités qui crient sans cesse à la dictature parce qu’ils confondent la démocratie avec l’anarchie.
Il en va aussi de la responsabilité des médias, et quand j’écris médias, je ne vise pas seulement des réseaux sociaux qui sont trop facilement pointés du doigt alors que ce sont bien souvent les médias traditionnels, et d’abord la télévision, qui fournissent son carburant à la frénésie des réseaux sociaux. Offrir une tribune, tendre un micro ou pointer une caméra n’est pas un geste anodin et on ne peut pas faire comme si la libre accession à la parole publique pouvait s’affranchir des règles de droit ou d’éthique qui forment l’architecture de nos sociétés.
La course à l’audience ne peut se faire en dehors de tout contrôle, de toute mesure ou de toute responsabilité, car la liberté n’est pas un espace infini, sauf à se confondre avec le chaos qu’elle induit lorsqu’elle s’affranchit de l’ordre républicain et des règles démocratiques. Et c’est justement parce que la liberté s’arrête là où commence ce qui la menace, que les médias et les contenus qu’ils produisent ou reproduisent pour nous informer, nous faire réfléchir ou nous divertir, doivent respecter les règles qui participent à la préservation de la paix sans laquelle ils disparaitront eux aussi.
Merci
Merci! Les medias classiques, surtout la télé, ne font pas leur boulot, mais donnent trop souvent le micro aux citoyens dans la rue, pour ensuite choisir les plus critiques, les plus haineux. Jamais les positives ou constructives. C’est trop facile, c’est gratuit, et non pas ce que le journalisme devrait nous apporter.
exact, c’est si facile… et c’est le plus excessif qui fait le plus d’audience, donc il ne faut pas se leurrer si on veut limiter cet effet pervers de l’audimat, soit il faut interdire la pub dans les medias, soit il faut en reglementer les tarifs….
Merci ! Trop d’impunité en lien avec le désensibilisation progressive des auditeurs, de plus en plus acteurs, de relais d’informations trop souvent “vides”. Les médias courent les uns derrière les autres pour rester hors d’eau économiquement ou gagner plus pour les plus porteurs. “Peu importe le contenu pour vu qu’on ait l’audience”, pour paraphraser celui du “flacon et de l’ivresse”, les similitudes sont là.
L’excès de consommation d’alcool devient une maladie: à quand la reconnaissance d’une maladie des médias ?
Merci Monsieur Alberti 🙏😊
Une évidence, un combat à mener tous les jours pour arracher les œillères de tous ces complotistes
Intéressante, cette réflexion, qui cible certains médias. Vous n’avez pas cité le Q Officiel, officine pourtant bien en vue d’une certaine gauche qui n’hésite pas à montrer du doigt et à dénoncer ses concurrents, mais qui, dans le fond, joue dans la même cour, avec juste des oripeaux différents, que CNews ou BFM, quand elle s’abaisse à chercher le sensationnel.
Mais la responsabilité que vous dénoncez n’est-elle pas finalement que l’émanation d’une course à la visibilité de plus en plus exacerbée, à cause d’une concurrence de plus en plus accrue, où l’outrance, la violence, le sensationnel, comme toujours sont les meilleures étincelles pour attirer l’attention ?
Comment la dénoncer ? Comment la modérer ? N’existe-t-il pas une éthique journalistique qui devrait, justement, interdire de donner à voir le spectacle affligeant d’un Bigard, devenu monstre de vulgarité (si il ne l’était pas déjà), de bêtise, de haine, et de tout ce qu’il y a de plus hideux dans l’âme humaine lorsqu’elle se convainc elle même d’une cause indéfendable ?
Merci pour votre belle écriture, comme toujours.
Heureusement que Mr BIGARD est là pour agiter les consciences, il ne s’agit plus d’attendre sous perfusion que tout cela passe!
No comment 🤐