Cette tribune a été initialement publiée sur le site du Journal Le Monde le 15 septembre 2021 où vous pouvez également la lire sous le titre suivant en suivant ce lien:
« Emploi: Il se dessine un gouffre entre ceux dont la vie limite le travail et ceux dont le travail limite la vie »
Alors que le sujet de la hausse des salaires anime la rentrée politique, c’est un autre problème qui plombe la reprise dans beaucoup de secteurs, celui des conditions de travail et de leurs inégalités croissantes. Or, ces dernières expliquent probablement pourquoi dans un pays où 8 % de la population active est inscrite au chômage des milliers d’entreprises n’arrivent plus à recruter.
Ce phénomène n’est pas seulement français, il se reproduit dans beaucoup de pays européens, à commencer par l’Allemagne, et même au-delà de notre continent, puisque les Etats-Unis, où la valeur travail est pourtant sacrée, sont touchés, à leur tour, par cette difficulté à pourvoir les emplois d’une économie qui se remet en route après des mois de paralysie. Joe Biden a même adressé un conseil en forme de critique aux entreprises américaines qui se plaignaient de ne plus arriver à embaucher, en leur chuchotant : « Pay they more » (« payez-les mieux »).
Pourtant, si le président américain a probablement raison de pointer du doigt des rémunérations souvent trop faibles, il s’avère que l’argent n’est pas – n’est plus – la seule variable d’ajustement d’un marché du travail en pleine transformation. Car, en y regardant de plus près, il apparaît clairement que cette difficulté à trouver des salariés qualifiés ou non qualifiés touche plus spécifiquement certains secteurs, certains métiers et certaines fonctions.
Ainsi, le bâtiment, la logistique, l’hôtellerie-restauration, les services à la personne, la santé éprouvent les plus vives difficultés pour attirer et recruter de nouveaux entrants mais aussi pour conserver leurs salariés en poste. Or, si le salaire est un élément qui peut participer à endiguer ces phénomènes, la demande croissante concerne en fait la qualité de vie, et spécifiquement l’empiètement de ces activités professionnelles sur la vie de celles et ceux qui les pratiquent.
Par ailleurs, au sortir d’une crise qui a propulsé de nouvelles organisations de travail beaucoup plus souples pour les fonctions et les métiers de bureau, et en particulier la généralisation du télétravail pour beaucoup de salariés, il se dessine désormais un gouffre entre ceux dont la vie limite le travail et ceux dont le travail limite la vie, jusqu’à l’entraver.
C’est ainsi que les « essentiels » tels qu’ils avaient été désignés au début de la crise liée au Covid-19 ont aujourd’hui le sentiment d’être les sponsors d’un modèle de société où le travail est de plus en plus aménagé, adapté, agrémenté, pour tout le monde, sauf pour eux.
Ces salariés-là, qu’ils travaillent en cuisine, qu’ils conduisent un camion ou un tracteur, qu’ils montent des murs ou posent des tuiles sur des chantiers ou qu’ils prennent soin de personnes dépendantes, n’ont accès ni aux conditions de plus en plus confortables des espaces de bureaux, ni au télétravail, ni aux horaires aménagés, ni aux poses rémunérées.
Alors évidemment, il est aisé de pester contre ces gens qui ne veulent plus travailler en pointant du doigt un modèle social qui sert d’amortisseur et en feignant de confondre les causes et les conséquences. Le fait est qu’ils veulent travailler mais qu’ils ne veulent plus le faire dans des conditions qui sont étrangères à une majorité de salariés et qui empêchent de vivre, c’est-à-dire de goûter à la vie.
La crise de recrutement à laquelle se heurtent certaines professions n’est qu’un point de crispation dans un mouvement ancien et ininterrompu d’amélioration des conditions de travail pour tous, un mouvement qui s’appelle le progrès.
Dès lors, la responsabilité des entreprises et de leurs dirigeants est d’accompagner ce mouvement de fond, inéluctable et souhaitable, en participant à la définition et à la mise en place des organisations qui sont nécessaires à la continuité et au développement de leurs activités tout en permettant des équilibres de vie et l’équilibre des vies.
Cher Xavier,
Merci pour cette tribune dont je partage l’opinion.
J’ai rédigé récemment un article sur l’attractivité des CHR qui j’espère vous plaira !
https://hospitalityinsiders.net/attractivite-chr/
Bonne lecture