« Battre Macron ! »

La campagne en vue de la prochaine élection présidentielle est lancée. Tout le monde prédit qu’elle sera violente et elle a commencé à confirmer ce pronostic. Pas une journée sans polémique, sans dérapage, sans déclaration tonitruante et surtout sans passe d’armes, sans affrontements, de plateaux en studios et jusque dans l’hémicycle du Parlement Européen où certains candidats ou représentants de candidats ont décidé de se « payer » Emmanuel Macron, trop contents de disposer d’une tribune et d’un face à face qui leurs garantissaient des caméras gratuites et la faveur des JT du soir.

C’est la démocratie dit-on… et depuis quand ? Depuis quand la démocratie se nourrit-elle de l’invective et de l’outrance ? Depuis quand faudrait-il piétiner la civilité, le savoir-être, le savoir-vivre et même sacrifier une certaine forme d’élégance républicaine pour grappiller un point dans le sondage du lendemain. Quand a-t-on entériné qu’il était démocratiquement sain et profitable pour un pays de se répandre ainsi devant l’Europe pour attaquer son Président, fut-il un adversaire politique ? Depuis quand l’exercice démocratique justifierait-il la violence qui l’abime ? Probablement depuis que l’exercice politique s’est transformé, par les étranges lucarnes, en spectacle médiatique et que l’affrontement ad-hominem suffit à faire monter l’adrénaline, l’audience et parfois les sondages.

C’est ainsi que l’élection est devenue un jeu de massacre ou un jeu du cirque, où les adversaires se battent à mort pour gagner l’arène sous les acclamations du public. Pour illustrer ce propos, il y a un élément de langage qui s’est lentement mais sûrement imposé comme une partie du projet de certains candidats déjà entrés dans la course présidentielle, une phrase entonnée par beaucoup comme un slogan, un défi, le titre racoleur d’un combat de catch:

« Je suis le/la seul(e) à pouvoir battre Macron ! »

« Battre Macron » ? Est-ce là un projet de gouvernement ? Une vision pour la France ? Une ambition nationale ? Non évidemment, pas plus que « Battre Sarkozy » hier ou « Battre Le Pen » demain, ne représentent des projets politiques. En revanche, se pourrait-il qu’il y ait en fait dans cette promesse de victoire personnelle, les gages d’une triple défaite. Une défaite philosophique d’abord car aucun dessein collectif vertueux ne peut se fonder sur la défaite de l’autre. Une défaite programmatique ensuite, puisqu’une élection présidentielle, si elle permet de départager des femmes et des hommes, devrait d’abord opposer des projets. Enfin, une défaite politique, car les grandes victoires, celles susceptibles de donner une dynamique nationale, se bâtissent sur la capacité de concorde et non de fracturation.

Alors de quoi cette agressivité est-elle le nom si ce n’est de l’incapacité à délivrer autre chose ? La vérité c’est que cette campagne est marquée par le croisement de deux phénomènes qui se nourrissent mutuellement, d’un côté la flambée de l’agressivité, de l’autre l’évidence de l’impréparation de la plupart des candidats qui croient qu’il suffit de causer fort, de provoquer, de transgresser, pour vaincre. Cela marque une tendance de cette époque où beaucoup trop d’entre nous croient possible de réussir sans consentir l’engagement que réclament pourtant leurs appétits. C’est ainsi qu’incapables d’atteindre le niveau que requiert la magistrature suprême, certains se contentent d’en mimer les gestes glorieux pour faire croire qu’ils en sont les légataires ou de chercher la qualification dans les excès plutôt que dans la construction d’une vision. Et c’est finalement dans ce rêve éveillé, éblouis par les projecteurs qui les suivent et qu’ils confondent avec le soleil d’Austerlitz, que certains perdent toute appréciation de la réalité, prenant leur chute dans le vide pour un flamboyant envol.

Quand je parle d’impréparation, je ne parle évidemment pas du manque d’ambition, en tout cas personnelle, qui habite la quasi totalité de celles et ceux qui se lancent dans cette ascension, ni du manque d’exaltation longuement puisée à la source jamais tarie des flatteries de cour. Non, quand je parle d’impréparation je vise le manque manifeste de travail pourtant indispensable pour être capable d’embrasser et d’aborder tous les sujets sur lesquels se bâtit une présidence, si on espère qu’elle puisse proposer autre chose qu’une série d’indignités qui finissent par convoquer la lie au pied du Capitole, avant de l’envahir.

La démocratie n’a rien à gagner de la violence politique ni du combat de personnes car elle se nourrit uniquement du débat d’idées et de la pédagogie qu’il implique. L’hysterisation de l’affrontement politique, alimentée par la surexposition que lui donne la quasi totalité des médias pour en tirer audience, abaisse le niveau général de la politique et vide lentement mais sûrement la démocratie de sa substance. Un jour nous contemplerons, incrédules, le résultat catastrophique de cette dégradation du débat démocratique, et les mêmes qui s’agitent aujourd’hui à n’importe quel prix pour exister sous les projecteurs de la moindre caméra, se frapperont la poitrine en demandant « comment est-ce arrivé ?! »… comme cela.

Photo Gonzalo Fuentes, Reuters

3 réflexions sur “« Battre Macron ! »

  1. La baisse de niveau du personnel politique s’observe partout. C’est la conséquence du discrédit qui pèse sur les élus. Le vrai pouvoir leur a donc été confisqué et récupéré par des organisations qui se gardent bien de se présenter devant des électeurs.

  2. Depuis quand la démocratie se nourrit-elle d’invectives ? Les perles de Macron contre le peuple ne le serviront pas plus qu’elles n »auront servi Sarkozi. Que notre président donne l’exemple et ne reste pas dans l’outrance et l’agressivité que vous condamner

  3. J’aime vos analyses et lis avec beaucoup d’intérêt tous vos articles, avec lesquels je suis généralement d’accord. Pourtant, celui-ci ne me satisfait qu’à moitié car il semble s’étonner de choses qui sont pourtant le lot de toutes les démocraties actuelles (et passées, si l’on se rappelle certains débats à la chambre de la IIème république ou l’ambiance qui régnait entre Girondins et Montagnards lors des sessions de la Convention).
    En France, l’élection présidentielle est la mère de toutes les batailles, et en politique, celles-ci sont toujours sans merci. On voit venir, en effet, une campagne qui s’annonce rude, mais si Emmanuel Macron est président, c’est qu’il a su amener à lui, lors de la précédente, une majorité d’électeurs et a eu l’étoffe nécessaire pour dominer ses adversaires, et notamment MLP, lors de débats dont chacun se rappelle et qui étaient loin d’être tendres.
    Il vient de faire de même au parlement européen, et il fera certainement de même lors de la campagne qui s’annonce. D’ici peu de temps, il ne sera plus qu’un candidat parmi d’autres, et il devra retrouver les qualités qui l’ont fait gagner en 2017, et notamment sa capacité à projeter pour le pays et à le réformer.
    Quelle que soit la violence des débats, l’essentiel sera de convaincre, car ce sera à chacun des Français (du moins chacun de ceux qui se déplaceront pour voter) de juger. Si certains le feront par dégagisme, la plupart le feront, je pense, en adhérant à un programme. Ce ne sera pas le plus virulent qui vaincra : ce sera le plus convaincant.

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