Prendre le large

Nous sommes en 1969, après sept mois de navigation à bord de son voilier « Joshua », Bernard Moitessier passe le Cap Horn et commence à remonter l’océan Atlantique vers l’Europe. Il participe à la première course à la voile autour du monde et alors qu’il entame la dernière ligne droite depuis les mers du sud, il est annoncé comme le vainqueur potentiel. Mais, après quelques jours de réflexion à l’abri des côtes de l’Amérique du Sud, il vire à l’Est, et le 18 mars, passant pour la seconde fois le cap de Bonne-Espérance et alors qu’il a déjà effectué un tour complet du monde sur son ketch de seulement 12 mètres de long, il catapulte à l’aide d’un lance-pierre ce message sur un cargo : « Je continue sans escale vers les îles du Pacifique, parce que je suis heureux en mer, et peut-être aussi pour sauver mon âme. »

Moitessier renonce. Pourtant il ne s’arrête pas, il continue, peut-être même commence-t-il vraiment. Il ne passera jamais la ligne d’arrivée et il ne rentrera pas. Il reprend la voie qu’il a choisie, celle qu’il raconte dans « La longue route », celle qu’il a murie dans le Pot-au-noir, alors qu’encalminé sur une mer d’huile, il a commencé ce dialogue pénétrant avec la mer, formant un des récits les plus fascinants qu’il m’ait été donné de lire et de vivre à travers ses mots.

Moitessier a inspiré plusieurs générations de marins et d’aventuriers, mais au-delà, il a contribué à perpétuer et à incarner ce récit ancestral, cet appel de la mer, ce souffle qui nous pousse à nous libérer de tout ce qui nous presse, pour vivre pleinement nos vies, celles qui nous attendent, là, juste à côté, pour peu que l’on soit capable de virer de bord. La grande route de Moitessier n’est ni un exploit, ni une fable, ni même une parabole, c’est un geste vrai, un geste radical, de cette radicalité qu’on n’impose qu’à soi-même, le geste de l’émancipation, ce geste qui mène vers l’unité, ce pas inaugural, ce « pas de la réflexion » cher à Teillard de Chardin, un pas vers la paix, la paix intérieure d’abord puis la paix avec les autres, plus tard. Ce geste est universel car il est le même à Marseille, à Seattle, Halifax ou Valparaiso, tout comme l’est cette sensation unique lorsqu’on jette la dernière amarre sur le quai, que l’on passe la digue puis le phare, et où les rythmes qui se succèdent disent tant du monde que l’on quitte et de celui dans lequel on entre, et qui entre en nous à son tour, à la cadence du premier clapot à la sortie du port, puis de la vague, puis de la houle, quand la côte n’est plus qu’un souvenir et que lentement se révèlent en nous d’abord ce que nous avons laissé, puis ce que nous avions oublié, et pourtant qui compte tant. La houle, oui, la houle, voilà le rythme inaltérable de la mer, cette lente alternance qui roule sous la coque et qui mime ce balancement entre l’exaltation et la mélancolie, cette ondulation réparatrice propre aux immensités.

Ce récit universel, qui recèle bien plus que l’aventure maritime, puisqu’il encapsule la totalité de nos existences, c’est celui de l’appel du large, celui de Pessoa dans l’Ode maritime:

« Partir avec vous, me défaire de moi – ah, fous le camp, fous le camp d’ici ! – De mon habit de civilisé, de mes façons doucereuses, de ma peur innée des prisons, de ma vie pacifique, de ma vie assise, statique, réglée et corrigée ! »

C’est celui de « La mer » de Jules Michelet:

« La terre est muette, et l’Océan parle. L’Océan est une voix. Il parle aux astres lointains. Il parle à la terre, au rivage, dialogue avec leurs échos ; plaintif, menaçant tour à tour, il gronde ou soupire. Il s’adresse à l’homme surtout. Que dit-il ? Il dit la vie, la métamorphose éternelle. Il dit l’existence fluide. Il fait honte aux ambitions pétrifiées de la vie terrestre. »

C’est celui de Baudelaire

« Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame,
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer« ,

Celui des Proses Philosophique de Hugo sur « La mer et le vent »:

« Le vent maltraite la mer. La voie de fait va jusqu’à troubler ce vaste rythme qu’on appelle la marée. Les flots bourrelés s’insurgent. De longs nuages, vessies électriques, se gonflent, et, à un renflement difforme, on devine dans leur flanc la foudre prisonnière comme la bête morte dans le ventre du boa. L’écume ruisselle à mille plis sur les reins de l’écueil comme la robe de lin sur les hanches de Vénus Anadyomène. Le baromètre baisse, puis monte ; même jeu sombre dans l’orage. On entend le sanglot de la création. La mer est la grande pleureuse. Elle est chargée de la plainte ; l’océan se lamente pour tout ce qui souffre. Sous l’eau les effluves vont et viennent, avec une vitesse de soixante dix mille lieues par seconde, du pôle boréal qui a un volcan, l’Hékla, au pôle austral qui en a deux, Erebus et Terror. Le liquide et le fluide combattent. Les solitudes sans défense subissent les chocs de ce tournoi sauvage. S’il n’y a personne, déluges ; si l’homme est là, naufrages. Telle est l’immense aventure de l’ombre. »

enfin, ce récit universel, c’est bien sûr celui de Melville:

« Je m’appelle Ismaël. Il y a quelques années, sans préciser davantage, n’ayant plus d’argent ou presque et rien de particulier à faire à terre, l’envie me prit de naviguer encore un peu et de revoir le monde de l’eau. C’est ma façon à moi de chasser le cafard et de me purger le sang. Quand je me sens des plis amers autour de la bouche, quand mon âme est un bruineux et dégoulinant novembre, quand je me surprends arrêté devant une boutique de pompes funèbres ou suivant chaque enterrement que je rencontre, et surtout lorsque mon cafard prend tellement le dessus que je dois me tenir à quatre pour ne pas, délibérément, descendre dans la rue pour y envoyer dinguer les chapeaux des gens, je comprends alors qu’il est grand temps de prendre le large. Ca remplace pour moi le suicide. Avec un grand geste, le philosophe Caton se jette sur son épée, moi, tout bonnement, je prends le bateau. Rien de surprenant à ça. Chaque homme, à quelque période de sa vie, a eu la même soif d’Océan que moi. »

Oui, car cette soif, c’est celle d’une libération silencieuse, celle qui sommeille au coeur de nos existences rectilignes et qui attend son heure, tapie, abandonnée, presque flasque, mais pourtant prête à s’enfler à la première brise thermique qui se lève au soleil couchant, à la première risée qui hérisse la surface lisse de l’eau que l’on croyait d’huile ou à la première rafale qui soulève la mer, scalpe la vague et fait fumer son éphémère sommet. La brise c’est le souffle de l’espérance, la risée c’est l’amour naissant, et la rafale c’est l’épreuve qui nous renverse. Le vent et la mer sont indissociables, comme le soupir et la mélancolie, l’effort et le souffle, l’amour et l’inspiration, ensemble ils participent à l’édification de ces combinaisons qui dessinent la vie. Partir et revenir, s’éloigner puis s’approcher, se perdre et se retrouver. Il y a dans ces va-et-vient, plus ou moins rapides, plus ou moins conscients, la respiration de nos existences. c’est ainsi que lorsque la vie parait trop étroite, qu’elle nous enferme, qu’elle nous malmène, que l’amertume nous gagne, que la violence sociale nous assigne à notre propre colère, à la lente macération de notre frustration ou à l’anesthésie générale de notre désir de liberté, qu’il faut savoir prendre le large.

Et d’ailleurs, nous l’avons tous ressenti, clairement ou parfois plus sourdement, cet élan invisible, cette impulsion qui part du fond de notre cerveau reptilien, et qui descend par la colonne vertébrale pour défaire l’étreinte qui enserre notre cage thoracique, et relâcher provisoirement l’étau qui écrase notre respiration et notre perception de la vie. Provisoirement oui, le temps d’un soupir ou d’un songe, car finalement nous ne partons pas, nous ne prenons pas le large, nous nous accrochons à cette sensation d’échappement, nous ouvrons une fenêtre, nous prenons un peu de l’air frais qui vient de l’extérieur, puis nous refermons la fenêtre et la vie reprend son cours frénétique jusqu’à la prochaine fois, jusqu’au prochain manque, jusqu’au prochain shoot. Ce mouvement peut suffire à toute une vie car finalement, la perspective de la fuite donne au prisonnier la sensation de liberté qui lui permet de continuer à avancer, tant bien que mal. C’est la préparation ou même le rêve de l’évasion qui procure la première liberté, même fugace, car une fois l’évasion réalisée, elle se mue en carcan. Fuir ce n’est pas être libre, c’est courir enchainé.

C’est pour cela que « Prendre la mer, c’est tout sauf une fuite, c’est au contraire une discipline et une contrainte. Décider d’aller chevaucher les vagues, c’est une conquête et, pour conquérir, il faut partir. C’est l’extraordinaire tentation de l’immensité. La mer, c’est le cœur du monde. Vouloir visiter les océans, c’est aller se frotter aux couleurs de l’absolu. » (Ocean’s songs – Olivier de Kersauzon)

C’est ainsi également que prendre le large, ce n’est pas forcément mettre les voiles, ce n’est même pas toujours partir et ce n’est jamais fuir, non, prendre le large, c’est embrasser le champs des possibles pour arrêter de contempler les impossibles. Derrière cette perspective libératrice se tient pourtant cette réalité que l’on appréhende parfaitement lorsqu’on prend la mer : La liberté ne rime ni avec hasard, ni avec dilettante, ni avec précipitation, c’est tout le contraire. La mer est impitoyable avec ceux qui la prennent à la légère, car elle ne souffre pas qu’on y navigue impunément. C’est ainsi que la liberté se mérite par la préparation, par la prudence et par la discipline, c’est à dire par tout ce qui semble la restreindre et qui pourtant, systématiquement, la précède.

Chacun de nous connaît cet instant où il touche à ses limites, la limite d’un travail, d’un projet, d’une histoire d’amour, d’une passion, et même de l’envie de vivre, où lentement la douleur remplace la chaleur. On s’entête, on essaye plus, on essaye mieux, on s’acharne ou au contraire on détourne le regard, on fait comme si, mais rien n’y fait, car dans cette volonté de continuer à faire ce qui est désormais inutile ou impossible, nous nous rendons statiques, immobiles, nous n’avançons plus, nous creusons, non en nous, mais autour de nous.

Ce fossé que nous creusons ainsi avec acharnement, forme la limite volontaire de nos existences contraintes. Il nous empêche de voir plus loin, de nous projeter, de nous autoriser, de nous élever même. Il est ce qui enferme, ce qui délimite et finalement ce qui sépare des autres, des tentations, des risques, des décisions. C’est lui qui nous interdit d’embrasser la multitude qui peuple nos êtres, de suivre nos intuitions, d’embrasser nos contradictions, d’épouser nos désirs et de faire tout ce que nous voudrions mais qui se joue au delà du fossé et de ses contreforts qui nous enrochent dans les contingences, dans les fins de mois, dans les fins d’émois.

Pourtant nous ne creusons pas en pure perte, nous creusons notre sillon, à nous, à soi, le sillon de sa propre histoire, autonome, indépendante, cette histoire qui nous définit en tant qu’individu. Et nous aimons creuser ce sillon, le prendre en photo, le filmer, le montrer, le raconter aux autres pour leur dire « hé ! Regarde, c’est mon sillon à moi, c’est moi qui l’ai fait ! » C’est l’histoire de nos vies par le petit bout de la lorgnette, l’histoire de nos vacances, de nos loisirs, de nos possessions, de nos plaisirs et c’est bien ainsi car c’est aussi cela, la vie. Le ridicule ne tue pas, et souvent, même, il décore.

C’est ainsi que de nos jour, on ne prend plus le large, « on va à la mer ».

Notre rapport à la mer est symptomatique de notre façon moderne d’être au monde. Longtemps on prit la mer pour explorer, pour voyager, pour pêcher ou pour guerroyer, parce qu’elle était le seul chemin possible quand on se cognait à la fin de la terre et que l’on voulait voir ce qu’il y avait après…

Depuis que l’on connait toutes les surfaces et que l’on se moque des profondeurs, on va à la mer, au plus près, mais pas dessus, on s’y agglutine devant, comme devant un écran et on voyage en soi mais plus sur elle. Désormais le voyageur prend un avion pour enjamber l’océan, pour passer de terres en terres, tels les voltigeurs que nous sommes devenus. Nous avons délaissé la mer et nous avons cessé désirer « revoir le monde de l’eau » pour préférer voir l’eau depuis le monde. C’est ainsi que nous nous retrouvons si souvent, devant la mer, alignés derrière nos lunettes de soleil, nos téléphones, assis, couchés ou debout, immobiles, le dos tourné au monde, tendus vers le large, cherchant dans l’image de la mer, dans l’exploration de ses reflets improbables, dans la quête de l’horizon et dans l’application à y prendre de grandes respirations, l’ivresse du voyage et l’apprentissage de l’exploration. Mais cela est vain, on n’apprend rien de la mer en la regardant depuis la terre.

« L’homme ne peut découvrir de nouveaux océans tant qu’il n’a pas le courage de perdre de vue la côte. »

André Gide

C’est parce que Gide a raison que la mer de nos pataugeages estivaux n’est qu’une flaque, l’extrémité usée d’un grand tout. La mer de nos vacances, la mer de nos jeux, la mer de nos petites navigations, la mer de nos embarcations ronflantes, n’est que la prolongation de nos plaisanteries terrestres, un parc aquatique de plus, un jeu d’enfants gâtés, d’enfants pourris. Et finalement nous le savons bien, nous qui nous émerveillions des pages de Moitessier, de Tabarly ou de Bougainville, nous savons bien, au plus profond de nous, que pour goûter à l’unique sensation de la vie pleine et entière, il faut larguer les amarres et oublier le quai, le port, le phare, la côte, les repères, les assurances, les certitudes, tout ce qui nous raccroche, tout ce qui nous leste, tout ce qui nous ancre, pour enfin voir qui nous sommes, en partant, loin, loin de nous, loin de tout, car on ne voit et on ne comprend bien que ce dont on s’éloigne, qu’il s’agisse de la terre, de l’amour ou de l’amer.

Prendre le large c’est accepter de lâcher tout le reste pour embrasser la possibilité de la métamorphose dont parle Michelet, celle qui permet à chaque marin et à chaque humain, de découvrir qui il est, car on ne triche pas en mer, on ne triche plus, quand on décide de prendre le large c’est, tel Ismaël, que l’on a compris pourquoi, que l’on a été capable de poser un regard suffisamment honnête sur soi et sur toutes ses vicissitudes, pour vouloir cesser de les ressasser en accusant les autres. Oui, prendre le large, c’est prendre ses responsabilités, et choisir de s’éloigner de ce qui nous ronge pour changer de point de vue, changer de vie et parfois, même, accepter de la perdre.

Quand Moitessier quitte Plymouth le 22 aout 1968 pour se lancer dans le premier tour du monde en solitaire sans escale, il refuse d’emmener une radio, se privant ainsi de la possibilité de pouvoir communiquer avec la terre, même en cas d’extrême nécessité. Ce faisant, il embrasse tout à la fois la liberté la plus pure et l’écrasante responsabilité qui lui fait écho et qu’il accepte d’assumer seul. Par cette décision, il tranche d’un coup sec l’amarre la plus difficile à larguer, celle qui attache nos vies au quai de nos existences empêchées, toutes ces choses qui nous encombrent et qui nous lestent de leur poids, tous ces objets qui nous entravent bien plus qu’ils nous relient, tout ce superflu dont nous sommes esclaves et dont Moitessier se passe subitement en prenant le large. Essayez donc… Prenez votre smartphone, votre montre connectée, votre ordinateur, votre tablette, éteignez-les, rangez-les dans une boite à chaussure et partez marcher ne serait-ce que quelques heures, sans GPS, sans messages, sans possibilité de photographier, d’appeler, de chercher et surtout de trouver… Larguez vos amarres, car c’est peut-être là, une façon moderne de se libérer, de s’affranchir en se délestant, car pour prendre le large, il faut lâcher l’étroit. Et c’est finalement assez évident de devoir lâcher pour pouvoir prendre, en commençant par abandonner ce qui nous assiste, ce qui nous assure, ce qui nous rassure, non par inconscience, mais au contraire en pleine conscience du risque, de sa dimension et de son inexorabilité.

Car, prendre le large, c’est accepter de se perdre, de chavirer, de se faire engloutir, de se faire avaler. Il suffit de quitter le port, de tirer un long bord de vent arrière, sentir le vent forcir, la mer se former lentement mais sûrement, tout en restant confortablement installé dans cette douce illusion qui nous porte quand le vent nous pousse. Mais, puisqu’il n’existe pas de chemin en ligne droite, vient le temps de virer de bord… et soudain tout change. Le vent qui nous poussait nous gifle, la fraîcheur qui nous enveloppait s’infiltre partout et la vague sur laquelle le bateau surfait, se met subitement à le frapper, le dresser, le coucher, jusqu’à nous mouiller, nous arroser, nous submerger. En une seconde les éléments se sont inversés, l’été a laissé la place à l’hiver, la promenade s’est transformée en combat et la liberté présente sa facture, la peur.

C’est pourquoi il existe plusieurs mers, celle que l’on regarde de la terre donc et celle qui nous engloutit lorsque d’elle, on ne voit plus qu’elle, la mer des terriens et la mer des marins. Prendre le large c’est entamer une transfiguration dont on ne revient pas et qui fait de l’humain un marin, de l’enquêteur un explorateur, du boutiquier un aventurier. Dans ce voyage transformateur, dans cet éloignement salvateur, l’essentiel prend immédiatement le dessus sur le superflu dès que la masse colossale de l’eau engloutit le fossé, le sillon et toutes les lâchetés que l’on prenait pour des arguments et qui nous enkystaient dans nos certitudes. C’est peut-être parce que le départ est un commencement, que la mer est un filtre/philtre et que le voyage est une métamorphose, que lorsqu’on lui demanda s’il y avait sur terre plus de morts que de vivants, Anacharsis répondit par une autre question : « Mais d’abord, ceux qui sont sur la mer, dans quelle catégorie les rangez-vous ? » … et c’est Platon qui conclût, quelques siècles plus tard, en confirmant qu’il y a bien trois sortes d’hommes : « les Vivants, les Morts, et ceux qui vont sur la Mer. »

Pourtant, un jour, ou une nuit, tous se rejoignent pour un dernier bord vers l’Orient, puisqu’il faut bien « tôt ou tard s’en aller » et quitter les rivages de nos propres vies. J’ignore si de l’autre côté, sur cette rive-là, nous avons le temps de nous retourner pour regarder ce que nous avons fait, et de loin, parce que nous sommes terriens, trop terriens, juger sans hésiter, la trace que nous avons laissée. De trace il n’en est jamais question en mer puisque la mer efface nos petites éclaboussures, ronge nos vestiges, digère nos pollutions. Il y a probablement là, une ultime leçon à tirer, une leçon consubstantielle au grand large, à cette immensité indomptable, incommensurablement, insondable, la leçon de notre propre insignifiance. C’est peut-être là le remède à tous nos maux, non pas la mort mais la certitude que la trace n’a aucune importance, mais que seule compte l’action, le premier pas, la dernière amarre que l’on jette sur le quai, la barre que l’on pousse pour virer de bord et qui ouvre l’immensité, oui, seul compte l’acte inaugural, car pour finir et rendre la main à Moitessier, « même si le destin bat les cartes, c’est nous qui jouons. »

12 réflexions sur “Prendre le large

  1. Très bon article et sympathique voyage vers soi!
    C’est très agréable de vous lire.. bonne continuation et bonne journée à vous

  2. Bonsoir et bon sang que tout cela me parle et fait écho ! Merci pour ce texte, merci pour ces mots et cette parenthèse enchantée Xavier !

  3. Cher Monsieur
    Votre texte est d’une grande force et beauté.
    Auriez-vous, svp, une adresse contact à laquelle il est possible de vous adresser un mail ?
    Merci.
    Bien cordialement

  4. Cher Monsieur,
    Merci à vous !
    Je vous ai adressé un mail et espère que vous l’avez bien reçu.
    Pour des raisons de sécurité informatique, il serait prudent pour vous que vous ôtiez à présent votre adresse du fil de discussion.
    Bien cordialement

  5. Cher Monsieur Alberti,

    J’ai maintes fois réexpédié mon message mais il ne passe pas. Je vais donc créer une nouvelle adresse mail et vous l’adresserai depuis la nouvelle adresse.

    Je vous souhaite un très beau week-end.

    Bien respectueusement.

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