« Le miroir de notre société »

Le vendredi 14 octobre, dans la soirée, le corps d’une jeune adolescente de 12 ans est retrouvé dans une malle, près de son immeuble situé dans le 19e arrondissement de Paris. Le lundi suivant, le 17 octobre, une femme de 24 ans, ressortissante algérienne, est mise en examen et placée en détention provisoire, dans le cadre de l’information judiciaire ouverte pour « meurtre sur mineure de moins de 15 ans en lien avec un viol commis avec actes de torture et de barbarie, viol sur mineur de 15 ans avec actes de torture et de barbarie et recel de cadavre. »

Dans les heures qui suivent la découverte de son corps, les informations parcellaires laissent rapidement la place à une vague d’indignation sur les réseaux sociaux. Très rapidement, la photo de cette jeune fille de 12 ans circule activement et presque instantanément, l’infâme assasinat de Lola est repris par une partie de la droite et la totalité de l’extrême droite comme un argument xénophobe qui fait de la nationalité de la principale suspecte, la preuve de la responsabilité migratoire dans la mort de Lola.

La machine est lancée, très vite, les plateaux des chaînes d’infos d’abord puis d’autres émissions de la TNT ensuite, s’emparent de la mort de Lola, de ses circonstances, de ses implications, et bien sûr de sa résonance politique pour en faire un sujet de débats. Le mardi matin, des passages entiers du procès-verbal d’interrogatoire de la suspecte sont imprimés dans les journaux, décrivant de façon circonstanciée les tortures subies par la jeune victime.

Lola est morte depuis moins de quatre jours, mais son supplice et son visage s’affichent désormais partout, y compris sur les photos de profil Twitter de responsables politiques d’extrême droite. Tous les responsables politiques sont d’ailleurs sommés de prendre position et des propositions de réformes du code pénal, des conditions d’entrée sur le territoire ou de mise en place de la fameuse rémigration prônée par Eric Zemmour, parcourent les réseaux et les plateaux, y compris sur les chaines généralistes où un animateur de talk-show joue au procureur: « La mort de Lola, 12 ans, est un miroir de notre société; barbarie gratuite, immigration hors contrôle, État impuissant… »

J’ignore si la mort de Lola est « un miroir de notre société », mais la récupération quasi immédiate de sa mort atroce et l’instrumentalisation de son image à des fins politiques et médiatiques sont le reflet d’une société qui a perdu le fondement même de son humanité, c’est à dire la décence et la dignité. Dès lors, si le miroir de notre société existe, chacun serait inspiré de s’y regarder avant d’y chercher systématiquement la responsabilité des autres.

La mort et les circonstances de la mort de Lola recèlent tout ce qui peut faire horreur à chaque être humain et la justice devra passer pour mettre hors d’état de nuire les coupables de cette abomination. Nul doute également que les raisons de cette tragédie doivent être explorées pour que nous puissions en tirer toutes les conséquences. Il y a un temps pour cela, il y a des institutions pour cela et il y a des règles pour cela, et il est à peu près certain que ni l’urgence des plateaux de télévision, ni l’hystérie des fils des réseaux sociaux, ni même l’immense émotion que nous ressentons tous en cet instant, ne sont appropriés à la recherche de la vérité et à la mise à jour des réponses politiques qu’une société mature doit être capable d’opposer à la barbarie.

Enfin, la mort, même la plus atroce, appelle le recueillement et le respect de la mémoire de la victime et de l’immense souffrance de sa famille. Le respect que nous devons aux morts n’interdit ni la colère, ni la revendication, mais il nous impose d’abord le silence et la prière, fut-elle laïque, le temps pour Lola de partir et pour ceux qui l’aimaient, de pleurer. les principes qui fondent cette éthique du deuil ne sont pas politiques mais culturels, et à ce titre, ceux qui crient vengeance sur le corps d’une jeune fille assassinée, pour attirer l’attention médiatique, la colère politique ou l’adhésion électorale, déshonorent la civilisation qu’ils prétendent défendre.

Lola avait 12 ans. Qu’elle repose en paix.

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